30.12.08

L'après-midi d'un faune

À la base, c'est un poème de Stéphane Mallarmé, qui date de 1875. Ensuite, c'est une pièce de musique de Claude Debussy. Et en 1912, ça devient une chorégraphie célèbre, choquante, érotique et magique, montée à Paris par Vaslav Nijinski, le danseur de génie. L'après-midi d'un faune représente pour moi la quintessence de ce que la Belle Époque a produit au niveau culturel.

La Belle Époque, c'est les années qui ont suivi la Commune de Paris, la Guerre franco-prussienne et la mort de Lautréamont (1870), en se terminant dans le sang de l'assassinat à la fois de Jean Jaurès et de l'archiduc d'Autriche François-Ferdinand en 1914. C'est donc 44 ans dominés par Paris, Londres et Vienne, tant au niveau politique que culturel, et qui ont façonné le 20e siècle. Époque de décadence, de progrès illimités, de misère et de grandeur, de beauté... J'aime tout de cette période. Je la considère comme la plus riche en Europe depuis la Renaissance. La plus intéressante à étudier, à décortiquer pour comprendre notre monde actuel, qui en est issu. Notre imaginaire, sans même que nous en soyons toujours conscient, est pétri de cette période-clef.

J'en badigeonne mon blogue avec peut-être un peu d'excès... Mais c'est mon monde intérieur qui est ainsi fait.

J'y reviendrai toujours.

Mon amie Èvre

Je l'aime. Elle est weird et belle et toujours pleine de surprises... Je voulais juste lui rendre hommage. Encore une fois. Mais ici, cette fois. Parce que des gens comme ça, ça aide à vivre...

L'amitié pour moi c'est vraiment spécial.

J'aime mes amis à un niveau quasiment anormal. Je suis toujours leur fan numéro un, même si je peux être très critique d'eux, de leurs opinions ou de leur comportement, parfois. L'amitié est une victoire éclatante sur ce qui rend la vie si moche, si terrible et si conformiste : les institutions, la solitude, l'image traditionnelle de l'amour et de la famille, le travail et l'argent, les classes sociales. Etc.

L'amitié me donne plus que j'en suis capable de prendre ou de donner. Ça me force à être meilleur, et ça me donne souvent l'impression de n'être pas à la hauteur.

Je rêve de triplexes complets, contigus, voisins, possédés en copropriété, par des amis, des couples d'amis, des tonnes d'amis, qui auraient la possibilité de mettre en commun un certain nombre de chose. Pour que tout soit plus facile.

Pas des communes hippies. Juste des communautés fondées sur l'amitié, par-delà les différences et les rapports sociaux traditionnels.

Voilà. Je viens encore de perdre toute crédibilité... M'en fous.

28.12.08

Je vous en voix

Ça se lit mal parce que c'est vieux, mais c'est ce qui en fait le charme, je trouve. J'aimerais envoyer ceci à celui que je n'ai jamais rencontré; j'aimerais juste lui dire que je suis là, de l'autre côté du vent :

Mon bel amy, je vous envoye
Nouvelles pour vous donner joye,
Pour vostre douleur secourir,
Et ne doubtez que pour mourir
Je suis vostrë ou que je soye.

Très voulentiers je vous verroye
Se vers vous aller je povoye,
Mais, pource que n'y puis courir,
Mon bel amy, je vous envoye.

Prions a Dieu qu'il nous pourvoye,
Car, se ma voulenté avoye,
Vers vous seroit tout mon plaisir ;
Bien scay que c'est vostre desir,
Vostre voulenté est la moye.
Mon bel amy, je vous envoye.


(Ce poème est de Jehan Regnier, qui a vécu de 1392 à 1468)

Wild is the Wind




[Dans mon lit à ne bouger que le moins possible pource que mes yeux veulent me tuer de douleur de par toute ma tête de tête, le vent siffle salement trop fort sur ma vie, souffle sur ma ville, s'enfle sur ma vilaine vie de veule, de vaurien. Viens sur moi, vent. Emporte-moi loin de moi, vent. Cause we're creatures of the wind. And wild is the wind.]

Mais c'est Nina Simone qui est quand même la fuckin best ever.



26.12.08

Dita Von Teese, Andrew vanWyngarden et moi




Mon premier Noël célibataire. Eh merde.

J'aurais préféré passer la soirée à frencher un jeune éphèbe et une demoiselle en talons aiguilles, avec lesquels elle m'aurait tricoté une Wii en cadeau. J'aurais préféré faire des guiliguili en dessous d'un sapin comme dans le temps, à l'époque victorienne, en gardant mes gants de cuir et en fumant la pipe. J'aurais aimé me faire faire une pipe au rythme de Tchaikowsky par ladite demoiselle, pendant que se dandine le cul glabre de l'adonis sur le divan, à portée de main. Bref. Une petite sauterie pour faire honneur au ti-Jésus. Un Noël sensuel pour faire changement...

Next time. Next year.

24.12.08

J'haïs Maryse Letarte

Prenez de la drogue et défoncez vos petites tronches sur ce doux refrain de marde.
Et basta!!!


(Ah oui, j'oubliais : joyeux Noël quand même)

Déclarer son nom

Mon nom est drame. Il est métissé de songes, transfiguré de Nord, bibliquement neutre sur les fronts opalins des amoureux du carcajou.

Mon nom est drame depuis les hivers roux de mon enfance. Il s'immisce en douce aux distantes tombolas des Laurentides et des Atrides. Et sur les lèvres de l'hiver, et sur les mains gercées de l'hiver, et sur les yeux à demi clos de l'hiver, et sur les pieds tordus de l'hiver, j'avance une parole sibylline en guise de feu, d'un geste dramatique.

Mon nom est drame sur les miroirs sans tain de l'amour.


Je me drape de feu liquide sur toute l'étendue de mon nom. L'olivier! Tu portais par grappes mon espoir de fin d'été. Tu ne t'es dénudé que dans la nuit huileuse de houille et d'attente pendant qu'au loin chantaient les Veilleuses du deuil ancien, pour que je ne puisse te consommer. Et j'ai continué de déclarer mon nom.



Le bouge de l'historien
par René Char

La pyramide des martyrs obsède la terre.

Onze hivers tu auras renoncé au quantième de l'espérance, à la respiration de fer rouge, en d'atroces performances psychiques. Comète tuée net, tu auras barré sanglant la nuit de ton époque. Interdiction de croire tienne cette page d'où tu prenais élan pour te soustraire à la géante torpeur d'épine du Monstre, à son contentieux de massacreurs.
Miroir de la murène! Miroir du vomito! Purin d'un feu plat tendu par l'ennemi!

Dure, afin de pouvoir encore mieux aimer un jour ce que tes mains d'autrefois n'avaient fait qu'effleurer sous l'olivier trop jeune.


Mon nom est drame et son évocation est sanglotante.

Onze hivers plus tard, je suis l'historien des sentes de la mort, des sentes de l'hiver. Je n'ai pas encore découvert le ciel qui portera mon feu vers une saison plus clémente. Au détour d'une page, je vois sourire un mot : basta!

Le drame se résorbe à la surface du texte... Quand tes yeux éclatent comme des olives mûres, quand tes yeux éclatent de rire roux, le joug de mon nom, enfin, est renversé.

21.12.08

Tout était mieux en 1903


Tout.

Même le cinéma.

Voyez plutôt : Alice au pays des Merveilles...


On trouve ici sa version non-remasterisée, commentée par la BBC.

Bref. J'aime l'époque romantique, l'époque victorienne et la Belle Époque. J'aime cet imaginaire. Et j'aime le vieux cinéma.


Basta!

(Merci Daniel F. pour cette belle découverte)

Ice and Snow.... Il fait frette, cibouarre!!!


J'ai pas mis de plastique sur mes fenêtres, j'ai deux cailles électriques qui sont morts, mais au moins j'ai des pantoufles et des gros bas de laine... J'AI FRETTE!!!! Mon lit vide me regarde comme un oeil mort, comme un orbite vide. Aucune consolation à trouver de ce côté-là. Le café se change en popcicle dans ma tasse...

Pis si vous réussissez à écouter ces deux chansons minables au complet, vous aurez peut-être soufferts pour rien, itou, mais vous avez mon admiration éternelle, ce qui n'est pas rien.

Noël pour moi c'est comme du Vanilla Ice et du Snow pendant des semaines dans le tapis.... Sur ce, je m'en retourne me coucher en petite boule à côté de ma chaufferette... brrrrrrr....

19.12.08

Tibet mental


L'empire de la normalité étend ses champs d'assimilation jusqu'aux trognons les plus pourris. J'aimerais dire : basta! de la normalité et de ses institutions régulatrices, mais c'est sinon impossible, c'est en fait peu souhaitable. Qu'aurait écrit Lautréamont, qu'aurait écrit Sade, qu'aurait écrit Apollinaire sans les transgressions que nos Chines morales nous forcent à faire?


"Elle se coucha sur une table couverte d'un drap noir. Un pope entra vêtu d'habits sacerdotaux, il disposa les vases sacrés et commença à dire la messe sur le ventre de Natacha. Mony se trouvait près de Natacha, elle lui saisit le vit et commença à le sucer pendant que la messe se déroulait. Cornabœux s'était jeté sur André Bar et l'enculait tandis que celui-ci disait lyriquement:

- Je le jure par cet énorme vit qui me réjouit jusqu'au fond de l'âme, la dynastie des Obrenovitch doit s'éteindre avant peu. Pousse, Cornabœux, ton enculade me fait bander.

Se plaçant derrière Mony, il l'encula tandis que celui-ci déchargeait son foutre dans la bouche de la belle Natacha. A cet aspect, tous les conjurés s'enculèrent frénétiquement. Ce n'était, dans la salle, que culs nerveux d'hommes emmanchés de vits formidables.

Le pope se fit branler deux fois par Natacha et son foutre ecclésiastique s'étalait sur le corps de la belle colonelle."

(Onze mille verges d'Apollinaire)


La raison n'a rien à voir là-dedans. J'ai la même soif de beauté que de profanations. Nous sommes nombreux à aimer autant les comptines de Tricot Machine que les vidéos gore...


Nous sommes nombreux à ne pas savoir comment séparer le réel du fantasme. À se faire des cas de conscience. À se sentir assaillis par la culpabilité, par le vide des conventions morales, par les estafilades de quelque surmoi surfait et superfétatoire. Basta les peurs! Basta les marginalités outrancières! Je parle de faire entrer la folie au coeur même de la normalité! De jouir au coeur même de la normalité! De devenir Jésuite! D'évaluer casuistiquement! De ne pas vomir sur ceux qui sont tendres! De ne pas juger ceux qui sont pervers! De ne pas s'associer outre mesure dans des ghettos conformistes! De respecter les rêves comme autant de petites bulles de Tibet dans la réalité et ses chinoiseries!


Ce monde baroque mérite ses chaînes et ses révoltes spartakistes! Pour profaner, ça prend du sacré, sacrament!


Et pour que les fantasmes les plus horribles gardent leur spécificité, ça prend aussi des chansons tristes, des films d'amour et des Noëls d'antant.


Sinon, à quoi bon? La vie mérite sa diversité exponentielle. Sa flamboyance de grands Soleils écartelés.



"Va! nous nous étonnons de toi, Soleil! Tu nous as dit de tels mensonges!... Fauteur de troubles, de discordes! nourri d'insultes et d'esclandres, ô Frondeur! fais éclater l'amande de mon oeil! Mon coeur a pépié de joie sous les magnificences de la chaux, l'oiseau chante : "ô vieillesse!...", les fleuves sont sur leurs lits comme des cris de femmes et ce monde est plus beau

qu'une peau de bélier peinte en rouge!"


(Anabase, III, de Saint-John Perse)

18.12.08

Pour souligner la fin...

À lire.

Ce texte de Dominique (http://dimanchematin.com/2008/12/17/la-fin/) entre en résonance avec un de mes précédents message (Respectueusement. À M.)



(Eh misère... Maudit temps des Fêtes. J'haïs ça... Basta!)

17.12.08

Liseur de bonnes aventures

[Je ne me considère pas comme un écrivain. Ce n'est pas en forgeant qu'on devient forgeron, ce serait plutôt l'inverse...

Je lis. Je suis un liseur. Et c'est en lisant que je me raconte. Ce que je veux dire, c'est que j'assimile et recrache presque indemne. Je commente. Je continue.

Cent fois sur le métier...



-- Pas maintenant. Pas encore. Peut-être jamais. Mais j'ai quand même besoin de m'exprimer. Ex-primer, c'est extraire, c'est faire sortir ; et là, les images les plus dégueulasses qu'on puisse trouver pour servir de métaphore se dessinent dans mon esprit mais je ne les décrirai pas.

Ou plutôt oui, celle-ci : chaque fois que je lis quelque chose qui me dérange ou me plaît ou m'émeut, c'est comme un kyste qui se forme en moi. À la fois interne à mon organisme, à la fois étranger. Ça fait mal, ça veut s'exprimer et ça pousse. Ça pousse contre les parois de mon crâne. Ce n'est pas l'image consensuelle de la "grossesse", de l'enfantement qui me paraît convenir... au contraire, c'est presque monstrueux. C'est bel et bien monstrueux ce qui se passe en moi. Mais ça ne veut pas dire : repoussant. Ça veut juste dire, comme le veut l'étymologie du mot "monstre" : ce qui est "montré", ce qui se montre, ce qui est visible et visiblement différent, anormal...



-- Tandis qu'un écrivain fait dans le polissage, je fais dans le barbouillage. Ça me permet de filtrer par la forme ce que je veux dire, ce que je vis, sans avoir à m'identifier ou à me donner une mission (d'auteur). Personne (ni éditeur, ni lecteurs, ni Dieu, ni maître) ne m'oblige à écrire. Pas même pour l'argent. C'est un geste gratuit.

Je lis ce que les autres écrivent, je m'en repais, et le régurgite pour le transmettre (par le biais de ma subjectivité, de mes goûts et de mes couleurs, desquels on ne dispute point) à d'autres. Passeur. Courroie de transmission dans un mécanisme qui me dépasse.

J'alimente mon univers mental carnivore, voire cannibale, qui finit par se dévorer lui-même. Cronos en son esprit malade a des envies de changer : de tube digestif divin, il veut engendrer des dieux plus forts que lui, qui le détruiront. Par une parole rien moins que prophétique, se faire Pythie.

Et perpétuer les aventures.



-- Avant, c'était pratique courante chez les poètes : les continuations. De Virgile à Hermann Broch, en passant par Dante, Chrétien de Troye, James Joyce, et tant d'anonymes (surtout ceux-là, en majorité écrasante face à quelques héritiers de génie) par tradition ou orale ou livresque, faire suite aux ouvrages du passé pour les réactualiser, les réinterpréter et se les approprier.



-- Bref. Petite parenthèses didactique plate... Tout ça pour dire que je fais tout ça, non pas pour me mettre de l'avant MOI, ce qui, franchement, n'a d'intérêt que passé à la moulinette de la littérature, mais pour que mon univers mental prenne de l'expansion jusqu'à dévorer le monde entier -- ce roman, ce poème, ce feu.]



Du charbon dans le corps

Je reviens de loin. J'ai du charbon plein le corps. Pour vrai. Pour me nettoyer.

J'ai froid et je suis fatigué, mais je vais m'accrocher. Je reviens de loin.

On m'a sauvé malgré moi mais je vais m'accrocher, maintenant. Merci. J'aurais raté une nouvelle neige, j'aurais tout raté.

Soufflez sur mon coeur, s'il vous plaît, pour me réchauffer, pour me rallumer les braises.

C'est tough en tabarnac, mais je vais m'accrocher.

Bast

14.12.08

Le temps en ajournement révocable

Pour entendre sur Youtube la récitation du poème original par Bachmann.



LE TEMPS AJOURNÉ


Des jours plus durs vont venir.
Le temps en ajournement révocable
est visible à l'horizon.
Bientôt tu devras lacer ta chaussure
et repousser les chiens dans les fermes de la Marche.
Car les entrailles de poissons
se sont refroidies dans le vent.
La lumière des lupins brûle chichement.
Ton regard tient la trace dans le brouillard :
le temps en ajournement révocable
est visible à l'horizon.

Ta bien-aimée sur l'autre bord s'enfonce dans le sable,
il monte autour de ses cheveux mouvants,
il lui coupe la parole,
il lui ordonne de se taire,
il la trouve mortelle
et non réticente à l'adieu
après chaque embrassement

Ne regarde pas autour de toi.
Lace ta chaussure.
Chasse les chiens.
Jette les poissons à la mer.
Éteins les lupins!

Des jours plus durs vont venir.




Ingeborg Bachmann

(Tiré de Die Gestundete Zeit, 1953)






La non-journée s'infecte au coeur du lieu de mon infamie,
Où je joue le loup hululant à la lune rougeoyante.
L'indivisible me creuse, me blesse de plus près.
Et au lieudit du non-confort, un rêve de tout flamber m'allume.

(Comment as-tu fait, ma chère Ingeborg.
Comment as-tu pu, sur les sept collines,
Sur les ruines encore fumantes de la civilisation
Brûler plus fort que tout, brûler.) Pérenniser.

La non-journée n'en finit plus de m'écarteler.
Et se carapater d'innocence diagonale est inutile;
Non je ne serai pas la réverbération d'un cri tôt tu.
Dehors il y a moi qui brûle, et la vitre qui me ferme.

Ce soleil du bout du monde est disparate sur l'écran.
Bientôt mes ans, bientôt mes amours. Déjà s'estompent.
Et à l'infini du voyage en ignition perpétuelle
Je troquerai les cristaux de sel du sol amer.

Car je craque et crépite comme un brasier fou
Emballé par des vents d'infiniment proche - d'ailleurs.
Vitrification - Choc - Crissement - Sel - Cendres.
Es kommen härtere Tage. Härtere Tage.



Fleur de feu

«Ah! ce n'est pas la peine de vivre
Et de survivre aux fleurs
Et de survivre au feu, des cendres
Mais il vaudrait si mieux qu'on meure
Avec la fleur dans le coeur
Avec cette éclatante
Fleur de feu dans le coeur.»

- H. de Saint-Denys Garneau



L'hiver n'est plus le même. Et l'autre est un drôle qui me regarde derrière sa vitre. J'avais froid quand il se découvrait.

Tu tritures ta tuque et ronge ta peine. Une laine plus pure pour des hivers plus durs. Commencer l'hibernation sans feu ni raison. Une laine plus saine pour les cœurs raréfiés. Le mien est emporté par le vent sous les flocons sans raison.

L'autre est au chaud dans sa nudité transversale. Accoudé. Lécher les plaies dans le vent moissonné. Sang deviné derrière les gerçures des mots.

Planquer sa peine. Plaquer sa veine. Et pourrir moins sous le vent dénudé. Une laine comme on en trouve seulement dans les relations de Jésuites, en Indes occidentales. Show de boucane. Boucane bleue comme du mercure dans les yeux! Une peine musquée bleue, tombée de maison éclatée. Glisser un mot. Encore. Entre les doigts du temps arraisonné.

Plaquer des accords de principe à pleine main. Main minée, minérale. Ces grosses mains translucides comme des vitres soudain dégivrées. Ces grosses mains bonnes à rien dont la laine s'est retirée trop tôt, sous l'effet d'une dégelée soudaine.

Se soûler de vent jusqu'au printemps. Sécher. Bluffer bleu.

L'hiver est à qui meurt, et meurt à douleur. Je chercherai noise à l'envi. Et prétendrai aux feux. Combustion glaciale. Et l'autre accoudé acquiesce en claquant des dents. J'avais froid quand tous étaient au show.

L'hiver me crève les yeux. L'hiver me creuse. L'hiver n'est qu'une métaphore creuse.

Je me regarde enfin partir seul pour les Indes désorienté, mon cœur sous le bras ; la laine minéralisée prenant feu. Tout s'éteint soudain. Rien ne survit hors le désir.



«On n'avait pas fini de ne plus se comprendre
On avançait toujours à se perdre de vue
On n'avait pas fini de se trouver les plaies
On n'avait pas fini de ne plus se rejoindre
Le désir retombait sur nous comme du feu»

-H. de Saint-Denys Garneau

Respectueusement

(À M.)


Quelqu'un est mort.

Des gens meurent à tous les jours, de tous âges, de toutes conditions, des inconnus et des méconnus, des qu'on ne saura jamais qu'ils sont morts et des profanés dans la mémoire, des regrettés et des qu'on croyait déjà morts, des beaux et des laids. Des comme moi. Des jamais moi.

Mon premier contact avec la mort injustifiée date de mon adolescence. (Toute mort est-elle injuste? Illégitime? Je ne saurais dire. Je ne veux même pas y penser.) Passage obligé. Mais dans les yeux du mort, les yeux clos du mort, j'ai vu l'absence de retour possible en arrière, j'ai compris l'IRRÉVERSIBILITÉ. Ce vertige.

J'ai le vertige. Au propre comme au figuré. Je ne m'en cache pas. Mais ce qui m'effraie le plus, c'est l'impression que ce qui cause cette peur pourrait être source de plaisir. Fascination du vide. Envie de se laisser aller. De sauter.

J'ai vu un visage, puis un autre, et tous ces visages se dissipent, mais comme une plaie se referme : ça laisse une trace. Visible. Une marque. Un témoignage muet. Un discours vide. Bref. Ça ne disparaît jamais vraiment. Ça.

Ça. Cette vie qui soudain n'est plus. Ces quelques saisons qui furent. Belles (même laides).


***


Je ne sais plus. Je ne sais plus si j'ai le droit d'écrire ça. Qui a le droit d'écrire à propos de la mort? La famille? Les amis?... Lesquels?

Quand un accident arrive et qu'un ami (ah, c'est difficile à déterminer à quel degré, à quelle profondeur l'amitié nous avait liés) meure, la pire chose c'est de ne se sentir aucun droit de pleurer cette mort. J'avais écrit quelque chose. Je l'avais discrètement, sans le dire à personne, sans m'en vanter, glissé ce bout de papier aussi mort que l'autre, dans le cercueil... Quelqu'un a vu. Quelqu'un s'en est moqué devant moi sans savoir que c'était de moi. Je ne sais pas pourquoi cette anecdote m'a marqué autant. Je n'en ai pas voulu à la personne. Je m'en suis voulu à moi.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas reçu la nouvelle d'un décès, du décès de quelqu'un qui ne m'était pas totalement inconnu. Des gens meurent à tous les jours, de tous âges, de toutes conditions, des inconnus et des méconnus, des qu'on ne saura jamais qu'ils sont morts et des profanés dans la mémoire, des regrettés et des qu'on croyait déjà morts, des beaux et des laids. Des comme moi. Des jamais moi.

Certaines morts nous touchent moins que d'autres. Certains décès sont naturels ou peu étonnants ou n'évoquent en nous rien de plus qu'un "ah ouin" sans conséquence. C'est normal.

Est-ce que le suicide est la question la plus importante pour la philosophie? Camus croyait que oui. Moi je crois surtout que la mort est un scandale. Et qu'on a le droit de ne pas s'y intéresser (pour l'instant) ou de ne pas en parler. Moi, ce scandale me trouble démesurément.

Car ce scandale m'en rappelle un autre : la vie.


***


Quelqu'un est mort. Je ne veux pas en parler. Je parle donc du reste. De tout le reste. Vous ne comprendriez pas pourquoi ce décès me touche autant. C'est pas important. C'est pas grave.

Tous ces mots auront composé, en fait, une forme aliénée de silence autour de ce qui doit rester tu. Dans tous les sens du terme.



Bast
14 décembre 2008.

10.12.08

Faits d'hiver

Nous nous sommes réveillé(e)s très tôt. La neige. Éloge :
"Ainsi va le train du monde, et je n'ai que du bien à en dire." (St-John Perse)

Nous avons craché : basta! Basta : moi. À bas : moi. Nous avons froid dans cette prison-là. Nous brûlerons tout pour préserver l'essentiel-exponentiel. Autodafé.

Nous n'avons qu'un corps et c'est une illusion. Nous sommes multitudes et nations intérieures. Nous ne sommes pas d'accord. Nous ne sommes pas malades mentaux. Ou plutôt : oui. Mais ça ne changerait rien de ne l'être pas.

Nous sommes douceur, candeur, bonheur, littérature et saint-ciboire-de-criss.

Basta de toute cette vieille désignation d'auteur! Nous ne savons pas ce que c'est qu'un AUTEUR. Nous ne sommes ni femme ni homme ni androgyne ni hermaphrodite : tout et rien, en MÊME temps. Dans le temps de le dire. Aouignahan.

Quel intérêt de faire un autre fuckin blogue? À quoi bon alimenter le monstre?

Pour se jeter en pâture. Désirer se faire bouffer. Désirer n'être (naître) qu'en paroles...

Voilà ce que nous avons décidé. Nous aurons du chemin à faire. Du chemin qui ne mène nulle part. Du chemin dans la neige.

Basta!