25.10.09

Secrets d'alcôve

(Paré et fin prêt pour ma mission, je m'apprête à sortir en quête de ce Graal postmoderne, l'amour...)



Je suis à la recherche de l'Amour. Quelle connerie... C'est une folie que j'ai depuis quelques temps. Je crois d'ailleurs que ça vaut la peine d'en parler ici, tellement ça suscite en moi des réflexions contradictoires.

Et je me trouve pathétique là-dedans. Et je nous trouve tous un peu pathétiques...






Sur les sites de rencontre, il est extrêmement ridicule et troublant de se faire apostropher par un anus.

Photo d'un anus qui te parle de lectures, d'amour, de culture... (Il y a des coups de pied au cul qui se perdent...) Et je suis supposé prendre ça au sérieux? Et je suis supposé être conquis? Qu'est-ce qui peut bien inciter des gens *sains d'esprit* (quoique j'en doute) à se représenter eux-mêmes par une photographie de leur seul derrière ouvert comme une fleur (du mal)? Il s'en trouve pour mal réagir quand je leur réponds : "Cher trou de cul..."





L'agressivité et le cynisme sur les sites de rencontre. Description du sujet : " Trop souvent attiré par les gars qui s'en câlissent. La plupart du temps approché par des gars qui m'attirent pas."

Losers cherchent winners ???
"- Qu'est-ce que tu fais, dans la vie? - Bah... j'ai pas vraiment de vie... - Hum..."
Ou bien, cette description du sujet : "*** toujours à la recherche d'un emploi poilu trimmé sans attente masculin un +".

Franchement... Débandant.


Et que dire des horreurs grammaticales qu'on peut découvrir... Des étranges fantasmes qui cherchent à être comblés... Comme ce jeune de 18 ans qui veut se faire péter au visage par un homme d'âge mûr... Ou ces jeunes profiteurs qui se cherchent un "sugar daddy"... Ça pullule et ça pue. C'est la Cour des Miracles. C'est moche, oh que c'est moche.






Déprimant comme un samedi pluvieux.







Je suis toujours amoureux de mes ex. Je ne décroche jamais vraiment. Je les idéalise et les jouent les uns contre de nouvelles rencontres, les autres contre mes amis qui tentent de me sortir. Ils ne me quittent jamais vraiment, me sont nécessaires comme des alliés rayonnants, comme des perpendiculaires ou des appendices mentales. Je les aime souvent davantage que lorsque nous étions engoncés dans l'horreur quotidienne.





Parfois, j'ai envie d'avoir mal. Même les griffures de mon chat m'allument sexuellement... Pourtant, la plupart des jeux sexuels, du sadomasochisme et du fétichisme, me laissent de glace. Vraiment de glace. Ces mises en scène sexuelles me semblent tellement vulgaires, tellement vétustes...

Même feu Robbe-Grillet a perdu tout intérêt littéraire à mes yeux depuis que j'ai su ses appétences conjugales pour les clichés bdsm... Donnez-moi une douleur spontanée, une fraîcheur de souffrance toute neuve! Innovez! Et laissez tomber les costumes cheap en ma présence, je vous en supplie...





Mon âme est trop délicate pour ne pas apprécier la beauté des corps qui s'esthétisent et se transfigurent dans l'Oeuvre d'art. Message puissant, émouvant et sans concession.

Tendresse... Je n'appelle que ça de toute mon âme.








Et si je crois rencontrer une personne avec qui je serais bien, trop souvent je SUIS l'obstacle, la déception, la cause de mon malheur : pas assez linotte, trop intense, pas assez sexy ou masculin ou riche ou musclé, trop gentil, pas assez ceci ou cela... C'est cruel, les rencontres amoureuses, c'est tellement cruel... Et l'amertume me guette, parfois.




Je suis saint Sébastien, amoureux et martyr.







Peter Colstee, trois toiles inspirées du film Mishima.

22.10.09

À chaque fois comme en 1908

Ne dis rien, mon coeur, et réfugie-toi dans le passé, comme tu le fais si bien. Fuir! Et dormir! J'ai des flocons de culpabilité plein les yeux, maintenant. Tais-toi! Et dors! Coeur, tu m'écoeures.






Silence. C'est tout.

16.10.09

Porte-voix




Quand je suis fatigué à tel point que je ne sais plus mon nom

Quand mes mains glissent sans saisir, plissent sans plaisir

Quand les matins sont tellement cool qu'ils sortent dans le Mile End plutôt que de m'encenser et m'ensemencer telle une glèbe joyeuse

Quand le pays de pays, quand le nom de nom et le nom de pays semblent au bord de l'émeute, ça ira, ça ira

je prends une pause, j'éteins le je, je tais le nombre, je chiffre mes idées, je pose sur ma tête ma casquette amarante et je laisse le plaisir à Char de dire, je m'efface et me dissous dans les mots de Char.

C'est mon dada. Ma misère et mon enchantement. Le fin du fin de la fin des mots et des maux.


Et ça s'adresse à l'Achigan, directement, évidemment. Et (comme dirait Yourcenar) à quelques autres...


L'AVENIR NON PRÉDIT

Je te regarde vivre dans une fête que ma
crainte de venir à fin laisse obscure.

Nos mains se ferment sur une
étoile flagellaire. La flûte est à retailler.

À peine si la pointe
d'un brutal soleil touche un jour débutant.

Ne sachant plus si tant
de sève victorieuse devait chanter ou se taire, j'ai desserré le poing du Temps
et saisi sa moisson.

Est apparu un multiple et stérile
arc-en-ciel.

Ève solaire, possible de chair et de poussière, je ne
crois pas au dévoilement des autres, mais au tien seul.

Qui gronde,
me suive jusqu'à notre portail.

Je sens naître mon souffle nouveau
et finir ma douleur.



Trois toiles de Jan Toorop (un immense symboliste et un de mes artistes préférés de la Belle Époque)

11.10.09

Le plus beau des poèmes



Le plus beau des poèmes est celui dont les signes renvoient, ambivalence des signes en eux-mêmes et entre eux et partout autour du poème, à l'infini de l'amour que le lecteur y trouve. Le plus beau des poèmes, ou le plus vrai, consiste en ceci qu'il parle pour chacun, en chacun, au nom de tous à chacun, au nom de chacun à tout le monde, et qu'il ne parle que pour soi sans jamais oublier sa visée universelle d'embrassement ou d'embrasement ; feu et baiser, incendie des lèvres amoureuses qui vibrent au son du poème qui s'allume dans la voix, dans le regard, dans les mains, dans les sexes. Le poème vibration est une onde de choc qui place chaque geste dans un non-contexte parfait, dans un non-lieu toujours situé en deçà des idées, toujours ici, à jamais maintenant, arraisonné sur un coup de glotte qui le renvoie à son inexistence totale de pur amour, de pure énergie. C'est le vertige sonore de la conquête du sens sur le chaos du bruit, et c'est le silence flagrant, fulgurent, et comme démultiplié dans sa chair vive de mots estropiés pour toucher à travers un vide vibrant, sans bruit, sans bruit, le coeur excellent de la réalité la plus haute, la plus belle.

Je suis fier de chaque personne qui réussit à se lire, à se découvrir dans un vers, dans une strophe, dans un mot, dans un silence. Et au plus près de soi, dans l'éloignement absolu de soi, quant à soi qui n'est pas plus qu'une caresse durant la nuit, un dévoilement, un retour sur origine ou dans la brunante du sensé, perdre soudain contact avec le ronronnement du quotidien pour se sentir moins seul à vivre et à mourir -- ces termes d'un contrat trop vaste, qui tourne court, et qui court à perdre haleine.

Éloge de vous, ô tels que vous êtes, soyez toujours, et aimez-moi si vous m'aimez, car je serai mieux demain, je serai plus grand demain.




ENVOÛTEMENT À LA RENARDIÈRE

Vous qui m'avez connu, grenade dissidente, point du jour déployant le plaisir comme exemple, votre visage, -- tel est-il, qu'il soit toujours, -- si libre qu'à son contact le cerne infini de l'air se plissait, s'entr'ouvrant à ma rencontre, me vêtait des beaux quartiers de votre imagination. Je demeurais là, entièrement inconnu de moi-même, dans votre moulin à soleil, exultant à la succession des richesses d'un coeur qui avait rompu son étau. Sur notre plaisir s'allongeait l'influente douceur de la grande roue consumable du mouvement, au terme de ses classes.

À ce visage, -- personne ne l'aperçut jamais, -- simplifier la beauté n'apparaissait pas comme une atroce économie. Nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre.

Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir. Mais ai-je qualité pour m'imposer de vous survivre, moi qui dans ce Chant de Vous me considère comme le plus éloigné de mes sosies?


René Char (Fureur et Mystère)




Le plus beau des poèmes, c'est celui où l'auteur n'est autre que l'amour comme envoûtement, et qui parle de Vous quand je parle pour moi. Je ne connais d'autre moment plus envoûtant que celui-ci, où, dans le crépuscule des amours décevants, ma route est un vent, les corps vieillis crachant sur les images les plus bêtement stylisées du songe érotico-létal, pour que nos sourires témoignent de notre entendement, et nos yeux se trouvent enfin,et se parlent enfin ; rencontre vitale parmi les non-rencontres virtuelles assemblées sur les cartes du Voyant.



Mes ans sont ceux qui me restent. Merci pour café, le gîte et le couvert. Éloge de Votre amour.


Je suis né le 11 octobre, il y a quarante mille ans. Mais je nais à chaque fois que nous récitons en silence le plus beau des poèmes pour nous réconforter, ensemble.


Bast



7.10.09

Fontaine de joie



(Tout simplement parfait et magistral.

Brigitte Fontaine est une interprète de premier ordre. Et c'est probablement la dernière des grandes chanteuses françaises d'une autre époque.)




Aujourd'hui commence mon deuil de ma grand-maman, une femme que j'admirais et que j'aimais de tout mon coeur. C'était une femme libre, anticléricale, une vraie fille d'ouvriers qui, par ses actes et ses choix de vie, faisait échec, à elle seule, à la Grande Noirceur. Pas le genre de grand-maman gâteau comme dans les films, si vous voyez ce que je veux dire. Au contraire, elle buvait avec plaisir son brandy et son petit rouge, elle fumait et elle détestait faire la cuisine.

C'est pourquoi, pour célébrer la fin de ses quatre-vingt-dix ans de vie, j'écoute en boucle cette chanson de Brigitte Fontaine, Prohibition, que ma grand-maman n'aurait pas reniée.





"je suis vieille et je vous encule /
avec mon look de libellule /
je suis vieille et je vais crever /
un petit détail oublié /

passez votre chemin bâtard /
et filez vite au wagon bar /
je fumerai ma cigarette /
tranquillement dans les toilettes /

(partout c'est la prohibition...)

je suis vieille sans foi ni loi /
si je meurs ce sera de joie."


Madeleine (1920-2009), ma grand-mère.