Bonne et heureuse année. Pour marquer le coup, voici trois billets que m'inspire la nouvelle décennie (Pomme va me tuer!!! héhéhé).
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En l'an de grâce 1010 après Jesus-Christ-Superstar, les Vikings tentèrent une installation permanente en Amérique. C'était il y a tout juste mille ans. Thorfinn Karlsefni, un pote à Leif Ericsson, est chef de l'expédition, et l'emplacement supposée : l'Anse aux Meadows, à Terre-Neuve. Un flop, mais une source inépuisable de rêveries érotiques pour moi.
J'aime les Vikings. Malgré tous les lieux communs abrutissants et les amateurs de jeux de rôles vaguement médiévaleux, les Vikings demeurent pour moi les membres d'une société complexe, vaste et touchante. J. L. Borges disait que tout ce qui touchait aux sociétés scandinaves du Moyen âge relevait davantage du rêve et de l'oubli que de la réalité historique. En disant cela, il soulignait le fait que toutes les découvertes des Vikings restèrent sans suite : que ce soit l'Amérique (retombée dans l'oubli pour quatre siècle) ou les romans (ces sagas et autres compositions fascinantes), l'attaque sur Byzance (les Vikings découvrirent les coups de soleil en même temps que des richesses sans nombre) ou la fondation de royaumes qui, presque immédiatement, perdirent leur culture en s'établissant en France ou en Italie.
Cette année, en 2010, on annonce l'arrivée d'un film qui semble prometteur : Valhalla Rising.
Parce que je suis POUR le plaisir. Et POUR le film de Sofia Coppola. (Que j'espère revoir dans les plus brefs délais; je suis en manque, ces temps-ci.)
Ne dis rien, mon coeur, et réfugie-toi dans le passé, comme tu le fais si bien. Fuir! Et dormir! J'ai des flocons de culpabilité plein les yeux, maintenant. Tais-toi! Et dors! Coeur, tu m'écoeures.
Plutôt que de jubiler sur ce qu'un artiste n'a pas échappé à la justice humaine (comme si c'était là une grande victoire pour la démocratie!!!).
Plutôt que de faire montre d'une exaltation malsaine devant la punition d'un crime...
Plutôt que d'instrumentaliser sa victime (dont on ne saurait minimiser la souffrance sans tomber dans l'autre extrême), devenue malgré elle le prétexte d'une vengeance absurde.
Et plutôt que de signer des pétitions pour l'empêcher de faire face à la musique (morbide) de la justice états-unienne...
J'aurais aimé que l'on soit triste, infiniment triste du trébuchement dans le mal de quelqu'un qui fut la victime de tant de drames immondes...
Du nazisme à la «famille» sanguinaire de Charles Manson, Roman Polanski a vécu ce que peu d'entre nous auront vécu dans notre petite vie. Quand en plus on ajoute à cela ses exils successifs et l'implacable volonté de le faire payer dont témoignent les États-Unis, à la manière effroyablement réelle d'un Jean Valjean rattrapé par Javert, alors je sens la main d'un destin cosmique, inhumain, manipuler cet être tourmenté, talentueux jusqu'à l'indécence, et écrasé par la mémoire.
Dimanche, il pleut, je regarde des niaiseries sur Youtube et je me surprends à avoir chaud, à rougir en visionnant des entrevues de Xavier Dolan. Il me fait rire, il accroche mon regard, me plaît. Me fait réfléchir.
Que jamais je n'aurais imaginé un jour fantasmer sur le petit gars des annonces de Jean-Coutu; j'avais 17 ans quand il y jouait le p'tit criss blond.
Que mes amis, ô mes amis, amies "e" surtout, qui ont tellement, tellement voulu percer dans le domaine du théâtre, dans l'industrie cinématographique, n'ont peut-être pas moins de talent que lui, mais n'ont jamais osé être, c'est-à-dire travailler et se croire, travailler sans relâche, ce qui est une autre façon d'être. Tout comme moi : moi je n'ai jamais osé être, jusqu'au bout, ce que je voulais être. Je rêvassais alors que d'autres bossaient sur leurs projets. J'espérais... j'espérais être pris sous une aile protectrice d'emblée, échanger mon corps glabre et svelte d'adolescent contre les conseils et les conditions de travail et les caresses et les discussions d'un mentor. J'en ai rêvé, j'en ai connu... et je n'en ai rien retiré, sauf des bleus sur les fesses et sur l'âme. D'abord, j'aurais dû attendre d'être majeur... Et peut-être aussi n'avais-je pas le bon goût de me trouver un mentor vraiment très vieux et très influent, très doux aussi. Au lieu de ça, je me contentais de professeurs. Bad choice.
J'ai toujours écrit. Mais je ne comprenais pas vraiment le but, le sens de l'écriture. Je n'avais pas cette intuition géniale qui firent Lautréamont violer toutes règles, Rimbaud embrasser toute la langue et toute l'histoire de la littérature française. L'intuition juvénile... dictant des oeuvres à vu de nez. Au pif. Suivant ses (bas) instincts. Et pourtant, je recevais des marques d'admiration, d'encouragement, et, ce qui est tout aussi dommageable que les précédents, des réactions de rejet, de haine. Plus jeune, il m'arrivait de perdre complètement le sens de la réalité, à cause de ça.
L'été dernier, je connus, au sens biblique du terme, un jeune padawan terriblement beau, d'une beauté vraiment infernale, et surtout, extrêmement intelligent : école internationale, études brillantes, du talent fou pour le cinéma, et une volonté canalisée dans le travail (critiques de films, en anglais, et courts-métrages, etc.). Nos échanges étaient épiques, nos baises étaient torrides, nos rencontres, sporadiques. Trop sporadiques. J'étais amoureux de lui. Il n'avait que 18 ans (genre). Il m'avait d'abord menti sur son âge, le petit con. Je le voulais pour moi, que pour moi, je me sentais inspiré par lui comme je ne le fus jamais que par l'Achigan et peut-être aussi par quelques autres, de manière plus limitée, et je le voulais comme padawan, comme un espèce de disciple. Çà! je me prenais, à mon tour, pour un mentor. Un sale mentor de merde; il eut probablement aimé que je lui fasse davantage de bleus sur les fesses, en bon mentor, mais je préférais les lécher et les caresser goulûment, délicatement, amoureusement.
Et c'est moi qui eut encore les bleus sur l'âme. Je me fis très mal dans cette relation. Je finis par en perdre la tête. Bref, passons.
Il me plaisait comme me plait Xavier Dolan, et dans ce que je perçois de Xavier Dolan, et dans ce que j'aime trouver dans Xavier Dolan, et dans ce que j'aimerais être, moi.
Le mot est lâché : moi.
Peu importe sur qui je bande, avec qui je joue à la bête à deux dos (ou à trois ou quatre dos, d'ailleurs). Peu importe que ce soit fille ou garçon ou les deux entremêlé dans le même individu. Le type, l'idealtype que représente Xavier Dolan m'est irrésistible : d'une exquise jeunesse, l'air à la fois intello et fatal à la Johnny Depp, le talent, le talent, la force immense et inexpugnable du talent brut! de la volonté de faire, de créer, de s'imposer... cette force éminemment érotique, érotisante de celui qui réussit à canaliser, à sublimer quelque chose dans l'oeuvre et dans la présentation attirante de l'oeuvre. Pierre Lapointe dégage ce même charisme, et Nelly Arcand l'avait, et mon Padawan l'aura certainement, quand il aura créé une oeuvre de quelque importance.
On peut et on doit croire en ses amis. Bien sûr, la plupart ne réussiront pas. Pourquoi est-ce que Pierre Lapointe pouvait se permettre une telle assurance, une telle arrogance, sans faire fuir les gens, au contraire en attirant encore davantage les gens, charmés par sa dégaine, sa fougue, son professionnalisme? Pourquoi est-ce que chez d'autres, chez d'aucuns n'est-ce qu'insupportable? Pourquoi Xavier Dolan et pas tant de gens que je connais qui peinent à survivre dans le milieu cruel des arts de la scène? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est que contrairement à ce que l'on entend, et contrairement à tous les préjugés ou les réserves qu'on peut légitimement ou non avoir (et que j'ai eu dans le cas de Nelly, jusqu'à récemment), Xavier Dolan et Nelly Arcand et Pierre Lapointe méritent amplement le succès qu'il eurent dès leur première oeuvre.
J'aime Xavier Dolan car je vois en lui le type de jeune homme, de si tendre beau jeune homme fier, qu'une culture en train de naitre (ou de renaître) peut produire : pas la culture au sens de ministère de la culture, de subventions et d'industrie de masse ; culture au sens de Paris à la Belle Époque ou au temps du surréalisme, de Londres au temps des dandys ou des punks, de Vienne au temps de l'Empire austro-hongrois, celui de Freud et de Kafka. Le genre de culture qui, après une phase plus ou moins longue de défrichage épique, glorieux, de bric et de broc mais si exaltant (de St-Denys Garneau à Michel Tremblay, en passant par le Refus Gobal, à peu près), après une phase sombre de vide cuturel quasi fatal (les années 80 et début 90, à peu près), ne se rend pas tout à fait compte encore que les amarres sont lancés et que la qualité, la diversité, la beauté, le dynamisme sont en train d'atteindre un niveau inégalé.
Je le sens dans l'air. Je le vois autour de moi. J'en suis avide.
Xavier Dolan, c'est le jeune prodige que toute une société a réussi à laisser s'engendrer malgré les erreurs de parcours, malgré les rednecks anti-intellectuels et anti-artistes, homophobes et racistes, malgré les politiques de droite, malgré les émissions de télé ou de radio minables, malgré Denise Bombardier et Paul Sarrasin et Mario Pelchat, malgré la mode du brun, puis du pastel, et du fluo... Et peut-être aussi grâce à tout ça, grâce à une mystérieuse dialectique dont le mécanisme nous échappe. Xavier Dolan, comme Pierre Lapointe, comme de plus en plus de jeunes créateurs plus jeunes que moi, ou de mon âge, représente l'ouverture d'une culture vers une autre étape de son histoire, vers une rupture et un agrandissement des frontières de l'art.
Tant de jeunes brillants auteurs, compositeurs, artistes visuels furent détruits par notre province... André Mathieu, par exemple. Saint-Denys Garneau se croyait tel. Et Huguette Gaulin. La danse contemporaine agonise sous les coups répétés des politiques sauvages des Conservateurs. Et d'autres furent obligés de fuir, de s'exiler, ou de se faire publier ailleurs. Réjean Ducharme. Borduas...
Je suis amoureux de Xavier Dolan. Même si, le rencontrant quelque jour, nous ne nous aimons pas, nous nous haïssons même, je serai amoureux de lui. Car j'admire ce qu'il est. Il me donne envie d'encourager les gens que je lis, que je connais, que je croise, que je vois à l'oeuvre. Il me donne envie d'y croire, de rencontrer d'autres beautés extraordinairement érotisante de succès comme lui. Il me donne envie de participer à cette vie culturelle qui n'est plus celle des chroniques culturelles du Tj de Rad-Can (vous savez, ces bonnes vieilles chroniques culturelles plates de l'autre grand chauve jovialiste...). Il me fait réfléchir au nouvel horizon, en rupture avec l'ancien sur tant de points importants, qui est le nôtre, désormais.
Ce que je fantasme pour les Lettres, Xavier Dolan et d'autres me le montrent comme étant possible dans leurs propres domaines artistiques. Et même si je reste, pour une raison ou une autre, à l'extérieur du mouvement, si j'échoue dans mes projets, j'aurai une place de choix pour l'observer et l'applaudir. Et ce sera bien.
Note à moi-même : ne pas publier ce billet sur mon bogue. Je suis déjà assez troublé par ma sexualité, par mon univers fantasmatique, à quoi bon en faire l'étalage malsain et ostensible, au vu et au su de tout le monde...
Ce que je préfère chez les garçons :
- Les fesses. Les reins cambrés. Les hanches étroites. Un ventre plat. Les jambes...
- Des attitudes féminines, des gestes ambigus.
- Une façon de parler élégante, raffinée sans être ni affectée ni hipster; la vivacité d'esprit.
- Une minceur élancée, athlétique, et une virilité sans ostentation. Comme Andy Murray.
(Je crois que j'ai volé cette photo sur internet... shame on me)
- Une pilosité harmonieusement distribuée et bien entretenue.
- Les avant-bras poilus, torturés par des veines apparentes; les aisselles humides.
- Les secrets, les mystères, les ombres de l'intimité, les perversions, les charmes ambivalents de l'amitié entre garçons.
- L'éjaculation généreuse.
Léopold est mon idole.
Marcel Proust, dans son fameux questionnaire, répondait à : "La qualité que je préfère chez un homme", ceci : "Des charmes féminins."
Et à la question "La qualité que je préfère chez une femme", Proust écrivit la réponse suivante : "Des vertus d'homme et la franchise dans la camaraderie."
Ce que je préfère chez les femmes :
- Le champagne quand elles en boivent, non pas dans des flûtes (quel mauvais goût), mais dans des coupes évasées; ou quand elles s'y baignent...
- Une voix chaude, plutôt grave et veloutée, calme et d'une conversation raffinée.
- Une chatte bien épilée, qui s'ouvre magiquement sous l'action mouillée de la langue.
- Des seins enserrés dans un corset, et qui y palpitent d'excitation.
(Je crois que j'ai volé cette photo sur facebook... shame on me)
- La douceur de la peau.
- Les dessous chics et les gants de satin noir.
- Une gestuelle très féminine, très élégante, en toute occasion.
Des fragments à ajouter? Des idées de fantasmes à m'offrir gracieusement? Des invitations? Des hurlements de dégoût devant autant de rousses et de roux étalés sur mon blogue? Des photos volées sur internet ou sur facebook à m'offrir gracieusement?
AJOUT IMPORTANT : À l'instigation de ce grand pleumat à l'Achigan (son texte est déjà en ligne, ici, et comme toujours, c'est génialement bien écrit), une nouvelle tague érotique est née : la Tague Bisensuelle. Qu'est-ce que vous préférez chez les filles et chez les garçons? Je précise : pas "chez les filles OU chez les garçons". Faites oeuvre de bisensualité, bande de post-freudiens décadents! Je veux voir des imâââges, des "vidios", des toiles célèbres, des exemples concrets, du stupre et de la franchise. Renvoyez-moi la tague et je vous promets des surprises. À vos claviers, multitudes des nations de mon lectorat : vous pouvez répondre sur ma page facebook, dans les commentaires ci-dessous, ou de préférence sur votre propre belogue.
Pour finir, nous sommes et resterons amis de la musique, comme nous restons amis du clair de lune. Ni l'un ni l'autre ne veulent évincer le soleil, ils veulent seulement, aussi bien qu'ils peuvent, éclairer nos nuits. Mais il nous sera néanmoins permis, n'est-ce pas ? de plaisanter et de rire à leur propos ? Un peu tout au moins ? Et de temps en temps ?
Aujourd'hui, c'est un jour spécial pour moi. Il y a exactement sept ans, l'amour m'a terrassé. Nous nous sommes rencontrés dans un bar miteux de la rue Beaubien, en faisant du karaoké pour l'anniversaire d'une amie. Il m'avait invité à aller chanter avec lui une chanson de Dalida... C'était tellement drôle!!! Précisons que je chante comme un anus de babouin. Et qu'il a toujours aimé chanter. Duo létal. Franchement dépareillé, mais le comique en était irrésistible.
Toute notre relation fut dès cet instant-là marquée par un rapport très étroit, très étrange, et parfois insupportable, à la musique. De Parole parole à Far away (de Martha Wainwright, que j'ai écouté en boucle pour alimenter ma douleur, vers la fin des haricots), en passant par nos interminables soirées karaoké subséquentes (à mon plus grand désespoir, mais j'étais amoureux de lui), où nous vécurent des situations complètement hallucinantes dans un décor digne d'un film de Rodrigue Jean (en particulier son délicieux et délictieux Yellowknife), je crois que je n'aurais jamais pu imaginer une relation à la fois aussi longue et aussi musicale.
Nous avons réussi notre rupture. C'est devenu pour moi un ami très cher, avec lequel je désire rester à jamais en bons termes. Jamais je n'oublierai les merveilleux moments que j'ai passé avec lui. Ni les mauvais, les horribles, les ratés : ces apprentissages douloureux mais nécessaires. Pour souligner la date qui a bouleversé ma vie plus qu'aucune autre, j'ai choisi sept pièces musicales qui marquèrent diversement, entre d'innombrables autres, notre périple amoureux, cahotique et chaotique, qui s'est achevé sans tempête, sans collision, sans naufrage.
(Et je terminerai ce billet sur ce que je lui avais écrit, après l'avoir quitté...)
1 - Your song, version Moulin rouge.
C'est en me chantant à tue-tête, dans les ruelles endormies, cette jolie chanson d'amour que mon ex m'a conquis.
2 - La chanson des vieux amants, de Brel.
Nous nous imaginions vieillir ensemble. Et pourtant, dès le début, quelque chose clochait. "Il faut bien que le corps exulte..." Ce fut le pire des tourments.
3 - Le Poinçonneur des Lilas, de Gainsbourg
Le Gainsbourg jazz, jusqu'à celui de Bonnie and Clyde, fut, avec Boris Vian, un classique de nos longues heures en voiture pour monter à Québec. Le "vieux dégueulasse" demeure pour moi indissociable de l'autoroute 40, de nuit.
4 - Monopolis, de Starmania
Eh misère... Ce que j'ai pu l'entendre, cette chanson... Pour des auditions de comédies musicales, mon ex s'est égosillé sur ce refrain... Je crois que mes problèmes de santé mentale date de cette époque...
5 - Le Requiem de Mozart dirigé par Karajan
Nous étions quand même des gens de goût, et de bonne compagnie. Quand nous recevions à souper, ou quand nous faisons des folleries au chalet avec nos amis, il n'était pas rare que la merveilleuse musique de Wolfgang Amadeus (dont le film biographique magistral fut le premier que nous allâmes voir ensemble au cinéma, dans sa version remasterisée de 2002) accompagnât nos agapes. Bons vins, bonne chère, des dizaines de chandelles blanches, quelques substances hallucinogènes... et la baguette surnaturelle de Karajan pour diriger tout ça.
6 - Space oddity, de Bowie
Issu de son désir des hauteurs (que je ne partage absolument pas), il était allé faire des sauts en parachutes, dont le premier fut filmé et présenté sur cette musique, qui devint bientôt un incontournable de nos vies. J'ai toujours aimé Bowie. Et nous avons littéralement COMMUNIÉ, lui et moi, sur le film C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée...
7 - La bande sonore signée Miles Davis du film Ascenseur pour l'échafaud
Mon actrice française préférée et un de mes jazzmen préférés. Un grand film. Que j'avais découvert grâce au Phallocrate, alors que j'avais dix-sept automnes (on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans). Mon ex aimait presque autant que moi le jazz. Alors Miles Davis a littéralement inventé certains de nos meilleurs moments d'intimité. Le nombre de fois que j'ai joui, porté vers le ciel grâce à cette musique...
Voilà. Sept ans aujourd'hui. Mais nous ne fêterons plus jamais cet anniversaire ensemble. Je ne suis pas triste. Je suis, à tous égards, pour le meilleur et pour le pire, reconnaissant.
Perplexe, à mon ex (sans rancune aucune)
Je lis ce matin ce poème de René Char, et je pense à ce que j'ai perdu, et je m'adresse ces mots, ces phrases au «tu». Je me les adresse en murmurant, comme on lit la Torah, en hochant la tête, le corps, le monde entier.
Les braises peuvent flamber, mais elles s'éteignent insensiblement, à la fin. C'était un beau brasier. Ne regrettons pas les bûches et les embûches. Tout est calme, désormais, si rien n'est calme en nous-mêmes.
Je ne regrette rien. Tout m'est contact privilégié à mes limites, à mes Terra Incognita intérieures. Et c'est bien comme ça.
«J'HABITE UNE DOULEUR
Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau : tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.
Pourtant.
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. À quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires...
Qu'est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?
Il n'y a pas de siège pur.»
(René Char, Le Poème pulvérisé, in Fureur et mystère)
Je me sens étrangement bien. Comme le calme avant la...
Et je marche sur le bord d'une falaise qui surplombe l'océan de mes peurs. Je marche lentement, le sourire aux lèvres, ce sourire que je n'aime pas car il me donne l'air un peu con, et je n'aime pas trop avoir l'air con quand ce n'est pas volontaire. J'entends des cris qui viennent d'en bas, qui flottent sur les flots asymétriques. Beau comme le cri d'une naïade empoisonnée, agonisant sur un récif entre un parapluie et un laptop brisé. Beau comme un trisomique qui crève les yeux d'une petite fille sourde qu'on a clouée sur une clôture d'hôpital psychiatrique désaffecté. Beau comme une toux ensanglantée dans un film de Baz Luhrmann qui prend feu dans le local de projection et qui embrase les chevelures des spectateurs aux applaudissements de journalistes français à Cannes durant le festival même si je n'ai pas payé mon billet d'entrée. Beau comme l'océan, vieil océan, qui se jette dans le fleuve pour remonter jusqu'aux Grands Lacs et inonder Laval en passant.
J'ai envie de sauter dans l'océan. Les vagues m'emporteront vers des rivages inconnus, aux tracés mouvants comme les flammes dans les yeux de l'Achigan. Et je monterai l'océan à crue, à marée haute, sans équivoque. Réinventerai des pays qui disparaissent dans les brumes, des époques qui ont connu des monstruosités exotiques, intimes. Qu'il m'amène loin, et qu'il me montre avec délice ou arrogances ses mystères antédiluviens, loin dans les abysses qu'Alyss tisse comme une moderne Pénélope, entre un requin lubrique et une déesse titanesque, fille du Chaos et de Gê, plus forte que Poséidon le dieu aux chevaux piaffants. Qu'il m'amène là où les mots barbares sont inscrits sur des pierres brillantes qui chantent au matin, comme s'il n'eut fallu que de pluie et d'arc-en-ciel bifide pour qu'ils éclatassent en mille et mille et dix mille éclats de silex aux formes d'instruments de musique anciens, pour aller se perdre à jamais en une dernière musique dans les fosses abyssales qui ne peuvent être aussi inhospitalières que ce monde aux lignes trop saillantes, aux angles trop crus, aux lumières trop stellaires, aux baisers qui nous rendent vulnérables comme un stratège grec réfugié chez le Roi des rois achéménide, - Thémistocle je pense à toi et je te rends hommage en sacrifiant des chèvres sacrées sur l'autel en ruine, celui bâti par Melchisédech il y a mille et mille et dix mille ans.
Ô Vieil Océan, aux fumigations mortelles. Ô Vieil Océan qui m'appelle par mon nom secret. Océan de toutes mes craintes et de toutes mes merveilles. Tu es carnassier et tu es chaleureux. Je te salue, Vieil Océan!
Mais tu te retires en me laissant sur la grève famélique où les perles scintillent dans le matin comme une plage telle que nous n'en avons plus vue d'égale depuis dix mille ans. Et je remonte sur la falaise sur le bord de laquelle je sais mon destin surmonté d'une auréole sanglante. Et je ris, avec beaucoup de commisération pour les chercheurs d'ailleurs, pour les voyageurs des frontières et pour les Vérificateurs des poids et des mesures aux binocles tachés de suie. À mes pieds nus dans le pauvre lichens qui chatouille les coeurs trop tôt consumés, les étendues marines se sont égarées dans le rêve de quelqu'un d'autre et je contemple avec satisfaction le vide brumeux qui m'appelle.
Le mois de l'histoire des Noirs se termine et je m'en serais voulu, pour différentes raisons, de ne pas écrire à ce sujet. J'avais surtout envie de parler de quatre femmes afro-américaines qui m'inspirent et que j'aime. (Le choix était déchirant, et je m'en suis tenu à des Afro-Américaines, mais c'est loin d'être les seules qui honorent les femmes noires à travers le monde).
Étant donné que je suis full concept, j'ai calqué ce billet sur la chanson Four Women, de Nina Simone, avec laquelle je suis profondément en amour. Nina Simone est "the High Priestress of the soul" et ce n'est pas pour rien. Elle a une voix qui arrache, une attitude inimitable, un caractère de cochon (pour dire le moins) et un talent qui dépasse l'entendement.
Cette chanson a fait scandale. Même parmi la communauté afro-américaine. Car elle est d'une violence et d'une vérité cruelles, qui la font témoigner pour des générations de femmes noires dominées par l'esclavagisme, le racisme, la ségrégation et le patriarcat.
Nina Simone a milité pour les Civil Rights à l'époque du révérend Martin Luther King, qu'elle connaissait personnellement. Après de nombreuses années de lutte, de chant engagé et de deuil, la grande Nina s'est exilée en France.
J'aime Nina Simone. J'aime son oeuvre. J'aime ce qu'elle représente : la puissance de l'art engagé, sans compromis, sans compromissions.
La deuxième grande dame dont je désire faire l'éloge est une icône encore plus forte de la lutte pour l'égalité des Noirs aux États-Unis. Angela Yvonne Davis, après une enfance marquée par l'horreur du racisme et de la ségrégation, a étudié la philosophie en Europe, auprès des maîtres de l'école de Francfort, Adorno et Marcuse en particulier. Devenue une marxiste et une féministe notoire aux États-Unis, elle fut emprisonnée et accusée de complicité dans un acte meurtrier posé par des militants Black Panthers dont elle était proche. Une immense vague de solidarité mondiale se souleva pour réclamer sa libération : de Sartre à Prévert, en passant par John Lennon et Yoko Ono, qui lui dédièrent une chanson (assez ordinaire, au demeurant), Angela.
Elle enseigne encore, en 2009, et son dernier livre, Les Goulags de la démocratie, dénonce encore et toujours le système carcéral états-uniens, où les Noirs sont surreprésentés parmi les quelque deux millions de prisonniers qui le compose.
La troisième femme qui m'inspire, j'en ai parlé dans un billet précédent. C'est Amina Wadud. Je trouve que le texte paru dans Libé en 2005 dit tout, à son sujet :
Amina Wadud : "Nous voulons être des musulmanes modernes"
Amina Wadud, Afro-Américaine convertie dans les années 70, est une des figures majeures du féminisme musulman. Professeure d’études islamiques à l’université du Commonwealth de Virginie, elle avait fait sensation, en mars [2005], en dirigeant la prière du vendredi dans une mosquée new-yorkaise devant une assemblée mixte. Elle y avait appelé à l’égalité hommes-femmes ; plus tôt, au Canada, elle s’était montrée favorable au mariage homosexuel entre musulman(e)s. Son livre (Coran et femme) relit le Coran depuis une perspective féminine. « Je propose un jihad antisexiste parce que le temps est venu pour les musulmanes de revendiquer leurs droits. C’est une tâche titanesque, car c’est un défi aux ultraorthodoxes qui monopolisent l’interprétation des textes. Je vois grandir cette contestation révolutionnaire, même si je mourrai avant que des grands changements se produisent. [...] J’ai entrepris des recherches : en quatorze siècles, il ne s’était pas écrit une ligne sur des interprétations féminines des écritures. Or, dans le Coran, il y a davantage de versets sur la justice sociale liée aux femmes que sur tout autre type de justice. [...] En résumé, nous ne voulons pas être des Occidentales modernes, mais des musulmanes modernes. »
(François MUSSEAU, publié dans Libération, mercredi 2 novembre 2005.)
Ici, elle parle de l'importance pour l'islam d'une lecture spécifiquement féminine des textes sacrés :
Amina Wadud est, peut-on dire, très peu appréciée par les islamistes et les traditionalistes... Et dans le contexte post-11 septembre dans lequel elle s'inscrit, le fait d'être musulmane aux États-Unis représente un combat de tous les instants contre l'intolérance, l'ignorance et l'islamophobie. Son courage m'inspire énormément.
Finalement... bah... c'est sûr que ça crée une certaine rupture avec les trois précédentes, mais je DEVAIS parler d'elle : Pam Grier! Y a-t-il une seule femme aussi funky qu'elle dans la cinématographie des années 70??? Je l'ai découverte, comme tout le monde, dans son grand "come-back" de Jackie Brown, le film de Tarantino qui n'a pas autant plu que Pulp Fiction, mais pour lequel je garde une affection particulière. Elle joue désormais dans des séries policières et surtout dans la série télévisée axée sur l'homosexualité féminine "The L Word".
On peut voir ici la sublime actrice danser au début d'un film de série B, Foxy Brown...
Je suis le Jacques Languirand de la blogosphère. En plus sexy, et en moins ésotérique.
Relire Une saison en enfer. À voix haute, sur un ton naturel, normal, avec ma propre voix, sans déclamer et sans forcer. Les mots coulent, certains ont mal vieilli, d'autres ne me concernent pas, et l'ensemble prend la forme d'une palinodie. De l'automne initial jusqu'au printemps terminal, on ne sent aucun hiver prendre le sens du titre. Rimbaud aurait vraiment dû venir s'exiler au Québec plutôt qu'en Abyssinie. C'était un génie qui manquait (outre quelques embuscades bourgeoises et certains guet-apens religieux, dont il sait tirer profit jusqu'à la substantifique moelle, jusqu'à en inventer quelques uns, jusqu'à toucher sans concession le vide de sa génération) de résistance. En 1872, dans la Province de Québec, le plaisir infernal d'échouer à être Rimbaud...
Depuis quelques jours, depuis une éternité, je suis en manque criant de sa peau. De son poil. De son sexe. Je visualise chaque moment, chaque geste, chaque caresse, chaque baiser. Un aveu : nul ne m'a aussi souvent contredit en aussi peu de temps... Sur ce que je pense, sur ce que je glisse dans une conversation, sur mes préférences, sur ce que je ne suis pas sûr de croire, sur ce que je sais. Ça fait bizarre. Ça m'empêche de ressentir l'avantage que j'ai (trop) souvent d'emblée sur quelque padawan d'un soir. C'est parfois déstabilisant (même si je tente de le cacher), parfois amusant, et toujours excitant... Ça m'excite de sentir qu'il faut que je sois plus clair, moins fibreux dans mes explications, plus consistant et moins cynique. Et je le désire à ce point de tension que j'en deviens (moment fugace mais troublant) vulnérable dans ma virilité. Comme un boxer qui se rend compte que son jeu de pied n'est pas si rapide et si éblouissant qu'il l'eut cru... Étrangement, ça le rend encore plus désirable, encore plus beau, à mes yeux qui sont déjà à cheval sur les deux mondes...
La chanson qui me rend heureux ces temps-ci... La version de Rufus est une des meilleures à mon avis.
Envie de me coller avec lui pour écouter des films, pour jaser, pour rire, pour profiter de la chance d'être jeune, en santé et bandé.
"L'ennuie n'est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres, - tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l'étendue de mon innocence. Je ne serai plus capable de demander le réconfort d'une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père. Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J'ai dit : Dieu. Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre? Les goûts frivoles m'ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siècle des coeurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens. [...] La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde." (A. R. Une saison en enfer)
René Char et Saint-John Perse ont en commun d'avoir pour puissance titulaire, pour origine, la face angélique de Rimbaud. L'un en a gardé l'appétit de l'éclair, la nature et les astres comme modèles vivants, l'autre en a hérité la chaleur des couchants, la beauté des orients diffamés, et des alexandrins qui se perdent dans une narration abyssale. Le premier a dit : Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Parce que c'est à ce coût que l'on secoue les gousses du réel pléthorique. Le second a déclamé : Éloges au prince, à sa montée vers les cieux toujours aussi clairs et baroques de la Poésie, ce monde plus beau qu'une peau de bélier peinte en rouge.
Hommage à l'ancêtre, le toujours-jeune aïeul, et à ses diadoques, et à son ultime épigone : moi.
Moi : une soupe de gènes barbares que mes parents n'eurent pas conscience de me léguer, et des sens qui me permettent de m'imbiber de vous.
Vous : chacun, multiplié indéfiniment par les relations qui donnent forme au monde et à sa bassement creuse et sublime matérialité. (Le monde est une cybernétique à la limite de la fantaisie, de l'illusoire. Une mappemonde qui se réinvente à chaque coup de feu.)
Elle est retrouvée! Quoi? l'éternité. C'est la mer mêlée Au soleil.
Mon âme éternelle. Observe ton voeu Malgré la nuit seule Et le jour en feu.
Donc tu te dégages Des humains suffrages, Des communs élans! Tu voles selon...
- Jamais l'espérance. Pas d'orietur. Science et patience, Le supplice est sûr.
Plus de lendemain, Braises de satin, Votre ardeur Est le devoir.
Elle est retrouvée! - Quoi? - l'Éternité C'est la mer mêlée Au soleil.
(A. R. Une saison en enfer)
Ma vie est un film de Bergman. (J'existe dans un univers sans consistance ontologique, quelque part dans les limbes de la nordicité et des fjörds glacés sur lesquels glissent en silence des barques mortuaires de guerriers sans visage, vaincus par des déesses armées d'airain et de lieds mortels.)
[...] il n'y a pas de conspiration, j'aimerais tant le faire comprendre à mon fils et mes amis journalistes ou chercheurs, pas de gouvernement secret de décideurs occultes tirant les ficelles, il n'y a que nous, nous tous, bourreaux les uns des autres, nous qui sommes la fin de l'expérience Homo Sapiens, et ne pourrions-nous pas céder la scène avec un modicum de dignité, au lieu d'attendre que notre sort imite celui des dinosaures, ne pourrions-nous au moins nourrir un courant de pensée à travers les quelques dizaines ou centaines d'années qui nous restent, un courant qui prônerait non pas le repentir apocalyptique mais la contemplation de ce que nous fûmes, la considération de ce que nous voulions être et la passion de trouver où et quand on a merdé entre les deux.
Cette dernière portion en particulier me hante, m'interpelle violemment et me donne l'intense envie de me taper la tête contre un mur, jusqu'à ce que je perde un peu conscience : c'est à ce prix, peut-être, que je réussirai à m'oublier. Une fracture du crâne littéraire pour m'aider à accoucher des divinités inquiétantes de ma mythologie intérieure. Toute métaphore cessante.
J'ai des ouragans en moi qui ne peuvent plus attendre. Il en fallut de peu qu'ils ne s'épanouissent sur les ruines fumantes des fumisteries morales que mes parents m'ont inculquées à mon corps défendant. Il en eut fallu de beaucoup pour qu'ils n'emportassent mes médiocrités, mes modicités, mes pulsions autodestructrices, mes folies et vos trahisons. N'empêche : n'importe. Je suis un passeur de passé à peine esquissé, un Mohican parmi les autres, et le mécontemporain qui vous supplie dans les mots de René Char :
ASSEZ CREUSÉ
Assez creusé, assez miné sa part prochaine. Le pire est en chacun, en chasseur, dans son flanc. Vous qui n'êtes ici qu'une pelle que le temps soulève, retournez-vous sur ce que j'aime, qui sanglote à côté de moi, et fracassez-nous, je vous en prie, que je meure une bonne fois.
À moins que Langlois ne revienne au moins en partie sur sa décision, le cinéma Parallèle seul continuera de présenter des films de répertoire. Car le complexe Ex-Centris, merveille d'architecture et lieu idéal pour aller voir des films de partout avec sous-titres (plutôt que doublés) après avoir été prendre un verre au chic Café Méliès (ahhh, j'en ai dragué, des mecs, au Méliès...), ne présentera plus de films, se réservant pour des activités corporatives (entendre : plus lucratives). C'est une nouvelle décevante, choquante et humiliante pour tous les amateurs de bon cinéma, ceux qui ne mettront jamais les pieds au Guzzo et autre Colossus... brrrrr.
Au fil des dix dernières années, j'ai eu la chance et le privilège de passer du temps de qualité au Ex-Centris, d'y voir des films exceptionnels, rares, puissants. Je me souviendrai toujours de la fois où je suis allé voir Dancer in the dark, de Lars Von Trier, avec mes amis Robin, Amélie, Marie-Josée... Nous pleurions comme des veaux... Ou encore, les films de François Ozon (Swimming Pool, Huit femmes, ou le récent et oh combien tripatif Angel...)
J'y ai vu des films des quatre coins du monde, ou plutôt, des mille et un recoins du monde : des films afghan, iranien, finnois, latino-américain, etc.
C'est vraiment un coup dur porté contre la culture. On dirait presque un coup bas de Stephen Harper... alors que non, malheureusement...
Perceval le Gallois vient d'entrer dans ma vie. C'est un joyeux luron. Il est roux très pâle. Il est beau et doux.
C'est lui :
Il est aussi, par son surnom, son diminutif qui ne le diminue pas, Perse. Mon chat. Perse.
Perse comme l'antique empire des Achéménides mazdéens, cette civilisation opposée aux Grecs classiques, et qui vénéraient les dieux anciens que révéla Zarathoustra le Mage : Mithra, Ormazd, les anges inquiétants et la pureté des éléments (Temples du Feu, Tours du Silence...). Pays des Rois Mages. Immense empire aux frontières mouvantes, centré sur le Plateau iranien, et dont l'Iran actuel, musulman chiite, est et n'est pas l'héritier direct.
Perse!
Perse comme le poète stoïcien, auteur de Satyres...
« — Mais à quoi bon les fruits par l’étude amassés, À moins que plus actif, plus puissant que le lierre Qui mine lentement et fait fendre la pierre, Le savoir ne parvienne à paraître en dehors ? — Ah ! voilà donc le but où tendent vos efforts, Vous que l’on voit vieillir et sécher sur un livre ! Voilà le doux espoir dont votre orgueil s’enivre ! Ô mœurs ! quoi ! n’est-ce rien que tout votre savoir, À moins qu’aux yeux d’autrui vous ne l’ayez fait voir ? — Mais enfin nous aimons, quand quelqu’un nous rencontre, À voir que de la main en passant il nous montre À l’ouïr s’écrier : c’est lui : le voyez-vous ? Et quoi de plus flatteur encore et de plus doux Que de savoir qu’un jour nos œuvres immortelles À cent jeunes romains serviront de modèles. — Il est vrai ; regardez les fils de Romulus ; Voyez-les, au milieu de festins dissolus, La balance à la main, aussitôt qu’ils sont ivres, Peser et comparer les auteurs et leurs livres ! »
Perse... Mon chat qui est le poète que je préfère, autant que René Char : Alexis Saint-Léger Léger, alias Saint-John Perse, prix Nobel de Littérature.
Saint-John Perse... Je lis son Anabase ("montée", en grec ; ce qui désigne les conquêtes d'Alexandre le Grand, le Biscornu, le bâtisseur de Villes, le conquérant de la puissante Perse...), le plus souvent possible.
« Anabase IV
C'est là le train du monde et je n'ai que du bien à en dire -- Fondation de la ville. Pierre et bronze. Des feux de ronce à l'aurore
mirent à nu ces grandes
pierres vertes et huileuses comme des fonds de temples, de latrines,
et le navigateur en mer atteint de nos fumées vit que la terre, jusqu'au faîte, avait changé d'image (de grands écobuages vus du large et ces travaux de captation d'eaux vives en montagne).
Ainsi la ville fut fondée et placée au matin sous les labiales d'un nom pur. Les campements s'annulent aux collines! Et nous qui sommes là sur les galeries de bois,
tête nue et pieds nus dans la fraîcheur du monde,
qu'avons-nous donc à rire, mais qu'avons-nous à rire, sur nos sièges, pour un débarquement de filles et de mules?
et qu'est-ce à dire, depuis l'aube, de tout ce peuple sous les voiles? -- Des arrivages de farines!... Et les vaisseaux plus hauts qu'Illion sous le paon blanc du ciel, ayant franchi la barre, s'arrêtaient
en ce point mort où flotte un âne mort. (Il s'agit d'arbitrer ce fleuve pâle, sans destin, d'une couleur de sauterelles écrasées dans leur sève.)
Au grand bruit frais de l'autre rive, les forgerons sont maîtres de leurs feux! Les claquements de fouet déchargent aux rues neuves des tombereaux de malheurs inéclos. Ô mules, nos ténèbres sous le sabre de cuivre! quatre têtes rétives au noeud du poing font un vivant corymbe sur l'azur. Les fondateurs d'asiles s'arrêtent sous un arbre et les idées leur viennent pour le choix des terrains. Ils m'enseignent le sens et la destination des bâtiments : face honorée, face muette; les galeries de latérite, les vestibules de pierre noire, et les piscines d'ombre claire pour bibliothèques; des constructions très fraîches pour les produits pharmaceutiques. Et puis s'en viennent les banquiers qui sifflent dans leurs clefs. Et déjà par les rues un homme chantait seul, de ceux qui peignent sur leur front le chiffre de leur Dieu. (Crépitements d'insectes à jamais dans ce quartier aux détritus!)... Et ce n'est point le lieu de vous conter nos alliances avec les gens de l'autre rive; l'eau offerte dans les outres, les prestations de cavalerie pour les travaux du port et les princes payés en monnaie de poissons. (Un enfant triste comme la mort des singes -- soeur aînée d'une grande beauté -- nous offrait une caille dans un soulier de satin rose.)
... Solitude! L'oeuf bleu que pond un grand oiseau de mer, et les baies au matin tout encombrées de citrons d'or! -- C'était hier! L'oiseau s'en fut!
Demain les fêtes, les clameurs, les avenues plantées d'arbres à gousses et les services de voirie emportant à l'aurore de grands morceaux de palmes mortes, débris d'ailes géantes... Demain les fêtes,
les élections de magistrats du port, les vocalises aux banlieues et, sous les tièdes couvaisons d'orage,
la ville jaune, casquée d'ombre, avec ses caleçons de filles aux fenêtres.
*
À la troisième lunaison, ceux qui veillaient aux crêtes des collines replièrent leurs toiles. On fit brûler un corps de femme dans les sables. Et un homme s'avança à l'entrée du Désert -- profession de son père : marchand de flacons. »
Mon chat est très-beau dans son nouvel appartement. Ce n'est plus mon appartement : j'habite chez Lui, désormais. Et ça me rend juste