17.3.09

Sept ans en musique


Pour finir, nous sommes et resterons
amis de la musique, comme nous
restons amis du clair de lune.
Ni l'un ni l'autre ne veulent évincer le soleil,
ils veulent seulement,
aussi bien qu'ils peuvent, éclairer nos nuits.
Mais il nous sera néanmoins permis,
n'est-ce pas ? de plaisanter et
de rire à leur propos ? Un peu tout au moins ?
Et de temps en temps ?

Nietzsche, Humain trop humain, n. 169



Aujourd'hui, c'est un jour spécial pour moi. Il y a exactement sept ans, l'amour m'a terrassé. Nous nous sommes rencontrés dans un bar miteux de la rue Beaubien, en faisant du karaoké pour l'anniversaire d'une amie. Il m'avait invité à aller chanter avec lui une chanson de Dalida... C'était tellement drôle!!! Précisons que je chante comme un anus de babouin. Et qu'il a toujours aimé chanter. Duo létal. Franchement dépareillé, mais le comique en était irrésistible.

Toute notre relation fut dès cet instant-là marquée par un rapport très étroit, très étrange, et parfois insupportable, à la musique. De Parole parole à Far away (de Martha Wainwright, que j'ai écouté en boucle pour alimenter ma douleur, vers la fin des haricots), en passant par nos interminables soirées karaoké subséquentes (à mon plus grand désespoir, mais j'étais amoureux de lui), où nous vécurent des situations complètement hallucinantes dans un décor digne d'un film de Rodrigue Jean (en particulier son délicieux et délictieux Yellowknife), je crois que je n'aurais jamais pu imaginer une relation à la fois aussi longue et aussi musicale.

Nous avons réussi notre rupture. C'est devenu pour moi un ami très cher, avec lequel je désire rester à jamais en bons termes. Jamais je n'oublierai les merveilleux moments que j'ai passé avec lui. Ni les mauvais, les horribles, les ratés : ces apprentissages douloureux mais nécessaires. Pour souligner la date qui a bouleversé ma vie plus qu'aucune autre, j'ai choisi sept pièces musicales qui marquèrent diversement, entre d'innombrables autres, notre périple amoureux, cahotique et chaotique, qui s'est achevé sans tempête, sans collision, sans naufrage.

(Et je terminerai ce billet sur ce que je lui avais écrit, après l'avoir quitté...)


1 - Your song, version Moulin rouge.



C'est en me chantant à tue-tête, dans les ruelles endormies, cette jolie chanson d'amour que mon ex m'a conquis.


2 - La chanson des vieux amants, de Brel.



Nous nous imaginions vieillir ensemble. Et pourtant, dès le début, quelque chose clochait. "Il faut bien que le corps exulte..." Ce fut le pire des tourments.


3 - Le Poinçonneur des Lilas, de Gainsbourg



Le Gainsbourg jazz, jusqu'à celui de Bonnie and Clyde, fut, avec Boris Vian, un classique de nos longues heures en voiture pour monter à Québec. Le "vieux dégueulasse" demeure pour moi indissociable de l'autoroute 40, de nuit.


4 - Monopolis, de Starmania



Eh misère... Ce que j'ai pu l'entendre, cette chanson... Pour des auditions de comédies musicales, mon ex s'est égosillé sur ce refrain... Je crois que mes problèmes de santé mentale date de cette époque...


5 - Le Requiem de Mozart dirigé par Karajan



Nous étions quand même des gens de goût, et de bonne compagnie. Quand nous recevions à souper, ou quand nous faisons des folleries au chalet avec nos amis, il n'était pas rare que la merveilleuse musique de Wolfgang Amadeus (dont le film biographique magistral fut le premier que nous allâmes voir ensemble au cinéma, dans sa version remasterisée de 2002) accompagnât nos agapes. Bons vins, bonne chère, des dizaines de chandelles blanches, quelques substances hallucinogènes... et la baguette surnaturelle de Karajan pour diriger tout ça.


6 - Space oddity, de Bowie



Issu de son désir des hauteurs (que je ne partage absolument pas), il était allé faire des sauts en parachutes, dont le premier fut filmé et présenté sur cette musique, qui devint bientôt un incontournable de nos vies. J'ai toujours aimé Bowie. Et nous avons littéralement COMMUNIÉ, lui et moi, sur le film C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée...


7 - La bande sonore signée Miles Davis du film Ascenseur pour l'échafaud



Mon actrice française préférée et un de mes jazzmen préférés. Un grand film. Que j'avais découvert grâce au Phallocrate, alors que j'avais dix-sept automnes (on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans). Mon ex aimait presque autant que moi le jazz. Alors Miles Davis a littéralement inventé certains de nos meilleurs moments d'intimité. Le nombre de fois que j'ai joui, porté vers le ciel grâce à cette musique...



Voilà. Sept ans aujourd'hui. Mais nous ne fêterons plus jamais cet anniversaire ensemble. Je ne suis pas triste. Je suis, à tous égards, pour le meilleur et pour le pire, reconnaissant.



Perplexe, à mon ex (sans rancune aucune)
Je lis ce matin ce poème de René Char, et je pense à ce que j'ai perdu, et je m'adresse ces mots, ces phrases au «tu». Je me les adresse en murmurant, comme on lit la Torah, en hochant la tête, le corps, le monde entier.

Les braises peuvent flamber, mais elles s'éteignent insensiblement, à la fin. C'était un beau brasier. Ne regrettons pas les bûches et les embûches. Tout est calme, désormais, si rien n'est calme en nous-mêmes.

Je ne regrette rien. Tout m'est contact privilégié à mes limites, à mes Terra Incognita intérieures. Et c'est bien comme ça.



«J'HABITE UNE DOULEUR


Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau : tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.

Pourtant.

Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. À quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires...

Qu'est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?

Il n'y a pas de siège pur.»

(René Char, Le Poème pulvérisé, in Fureur et mystère)


vendredi 25 juillet 2008

BAST

(Tableau de Georges de la Tour)

7 commentaires:

  1. (L) Moulin Rouge (L)

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  2. Y a personne qui m'écrit des billets comme ça. C'est drôle parce que je suis vraiment un gros fan de Starmania (j'ai même une collection) et je regardais, pas plus tard que cet après-midi), le vidéo de Martine St-Clair et de Normand Groulx qui chantent Monopolis à la fin du premier acte. Deux fois ce vidéo là dans la même journée, c'est toute une coïncidence. D'autant plus que j'ai travaillé sur les Madeleine pénitentes de De la Tour quand j'étudiais en histoire de l'art. Beaucoup de coïncidence dans un seul billet.

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  3. @ Alex : Il n'y que moi pour écrire des billets comme ça... Donc, je suis le seul à pouvoir t'en écrire... Alors promis : si la vie nous réunit, puis nous sépare, je t'écrirai ce genre de choses! ;)

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  4. Space Oddity.

    tu m'épouserais?

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  5. "Your song" restera toujours marqué de l'image d'un charmant jeune homme (roux!?) debout dans un bar de la rue Beaubien.
    Merci

    M.Violet

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  6. AH!!! Merci M. Violet pour ce commentaire!!! :) Je me souviendrai toujours du grand pleumat avec qui j'ai dansé le plus beau slow sur Angel de Sarah McClinclin...

    Rouquinement tien,
    Bast

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  7. @ BTB : LOL!!! Je crois qu'il nous faudra attendre que la polygamie soit légalisée au Canada!!! :) Merci de passer me lire! Au plaisir!

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