14.3.09

Une histoire d'amour et de guerre

Durant quelques semaines, un amour est né et est mort entre deux feux, entre deux chutes de neiges, entre deux destructions, entre deux trêves inconséquentes, entre deux garçons trop sensibles que tout séparait.



Il était beau et il m'appelait : "habibi". Il avait pris toute la souffrance de son peuple dans son coeur. Il avait pris toute la douleur des veuves, toute la déréliction des quartiers bombardés, toute la terreur des enfants dans son âme. Son âme. Qui HURLAIT. Son âme hurlante avait soif d'un amour interdit, malgré elle, malgré tout.

Je lui avais dit :
"Je sais qui tu es. Je ne sais pas qui tu es.

Comment saurais-je jamais qui tu es? Comment saurais-tu jamais qui je suis?

Nos mots s'entrelacent sur l'écran mais nos yeux restent aveugles. Nos mots restent distants sur l'écran mais nos yeux sont grands ouverts.
Je ne sais pas qui tu es. Je sais qui tu es.

Mon espoir sans espoir va vers Gaza pour la paix. Et mon espoir sans espoir va vers toi pour te dire l'indicible de mon coeur. "

Il m'avait répondu :
"Et qui t'a dit que je ne te connais pas... Je te connais à travers tes écrits, tes lignes, tes émotions, parce que tes lettres respirent et parlent d'elles mêmes...

Je te connais à partir de tes mains qui écrivent... Et je te vois à travers tout!Nos yeux se sont retrouvés depuis longtemps...Même si les distances les séparent.

Je te connais. Et Ghaza te connais. Et mon Beyrouth te connais.

Le temps va nous réunir..."

Je lui ai dit :
"Depuis quelques temps déjà, je suis un lecteur assidu de Omar Khayyâm. Saches que c'est maintenant avec un oeil différent que je lis ses Robaïyat :

« Que l’homme est faible ! Que le Destin est inéluctable ! Nous faisons des serments que nous ne tenons pas, et notre honte nous est indifférente. Moi-même, j’agis souvent comme un insensé. Mais, j’ai l’excuse d’être ivre d’amour. »

J'ai en moi des douleurs dont le silence réponds aux tiennes très-doucement, avec des signes de reconnaissance. Je ne cherche rien. Je cherche ce qui ne se trouve peut-être pas en ce monde.

Emmène-moi. Emmène-moi là où j'oublierai le temps qui nous tue.

« Quand tu chancelles sous le poids de la douleur, quand tu n’as plus de larmes, pense à la verdure qui miroite après la pluie. Quand la splendeur du jour t’exaspère, quand tu souhaites qu’une nuit définitive s’abatte sur le monde, pense au réveil d’un enfant. » (Khayyâm)"

De tout son coeur, il m'avait répondu :
"Il est déjà 1h3o du matin et je ne dors toujours pas... Je ne veux pas dormir.

Je te lis et je rêve... Je ne sais pourquoi, ni comment. Et j'aurais aimé que ton message soit à l'infini, écrits par milles et une lettres... Dont chaque lettre sera pour moi une nuit...

Je n'ai jamais été aussi vivant... Je me noie et je ne veux pas être sauvé de cette mer tellement profonde... Je suis carrément ivre.

Je suis ivre, même si je n'ai jamais goûté à l'alcool...

Fait des beaux rêves et juste rêve..."

Et ses mots continuaient, inlassablement, à chanter l'amour sur fond de guerre :
"A Beirut, on se réveille toujours sur le bruit de la ville... Des voitures... Le cri des gens... Et les sirènes... Mais aussi de Fairuz, qu'on appelle le soleil du matin...

On se réveille sur l'effluve du café arabe, foncé comme la couleur de mes yeux... Là, juste à ce moment, déguste la vie, chaque instant, alors que je suis avec toi... Prend la tasse, et prends le café de mes yeux... Et toute le charme de Beirut..."

Et j'ai succombé à ses mots. Et nous nous sommes rencontrés, avons bu du café, avons fait l'amour interdit entre tous. Et c'était bon. Je lui ai dit : "Gaza". Il m'a répondu : "Oui, habibi".
Déstabilisé, complètement annihilé sous ses mots, j'ai écrit :
"Je me réveille avec tes yeux dans les miens...

Et je regarde le Mont-Royal par la porte-fenêtre de mon bureau-boudoir, et je pense aux montagnes du Liban que je n'ai jamais vues, et qui donnent son nom au pays lorsqu'elles sont couvertes de neige... Je cherche un pays intérieur, une terre à moi, moi qui suis suspendu entre la terre et le ciel, et je pense à TOI, le lion de sa nation...

Je me réveille en pensant à toi et à ce poème-fleuve de Miron :

« dans les giboulées d'étoiles de mon ciel
l’éclair s’épanouit dans ma chair
je passe les poings durs au vent
j’ai un cœur de mille chevaux-vapeur
j’ai un cœur comme la flamme d’une chandelle
toi tu as la tête d’abîme douce n’est-ce pas
la nuit de saule de tes cheveux
un visage enneigé de hasard et de fruits
un regard entretenu de sources cachées
et mille chants d’insectes dans tes veines
et mille pluies de pétales dans tes caresses »

J’attendrai que le monde nous soit propice, ce monde à feu, à sang, à feux saisissants, car mes jours ne sont rien, et mes nuits sont fusion métaphysique avec l’humanité inconsciente, jusqu’à la formation des constellations de l’espoir neuf...

« Chaque matin, mon cœur est plus lourd dans ma poitrine, mais ton regard le délivre de sa tristesse. » (Omar Khayyâm)

Parle-moi de toi, parle-moi de tout et de n’importe quoi, fait déborder la coupe de ta juste indignation jusqu’à moi, car je suis la glèbe anonyme où tu peux t’épancher. Je n’ai rien à t’offrir sinon cette petite chose en forme de cœur qui se débat dans le coffre en cèdre de ma poitrine... Mon corps est à mes yeux une frontière entre nous deux… Brise-la. Tu trouveras dans les ruines de mon identité des paroles venues d’ailleurs, tu trouveras dans les décombres de cette illusion que je porte, un simple souple souffle de chaleur pour te vêtir comme une nuée scintillante, où ta beauté sera voilée-dévoilée dans la transparence de nos paroles.

Parle-moi de toi, parle-moi de Beirouth et de Gaza, parle-moi de tes rêves et de tes fantasmes... Car ce qui est toi me grandit et me raffermit.

À la coupe de tes lèvres, laisse-moi épancher ma soif de connaissance...

Je t’attendrai comme les neiges sur le Mont-Royal attendent le printemps pour se sublimer enfin.

« Et le soleil n’est point nommé, mais sa puissance est parmi nous. » (Saint-John Perse)"

Notre amour n'était point nommé, mais sa puissance était parmi nous. Sur ma chair j'avais connu la chaleur de sa chair. Et dans ma tête, ses mots tourbillonnaient comme des simouns dans le désert...

Il a dit :
"Ta langue est toujours dans ma bouche, tout comme ton café, tes yeux.
Ta sueur me noie toujours.
Ton parfum s’est éteint sur mes vêtements… Sur mon cou. Il est toujours présent.
Ton regard. Et ton regard profond me fixe toujours.
Tes livres, tes rideaux, ta musique m’habitent toujours et pour toujours ils seront ma mémoire. Mon histoire. Je suis tout simplement né aujourd’hui.

Je t’ai aimé… Tellement aimé que…. Les mots se sont épuisés et ont perdu leur valeur. Trois points de suspension…"


Nos échanges infinis parlaient de nous, de la guerre à Gaza, de nos moments d'incompréhension l'un face à l'autre, de nos rêves, de nos peurs... Nous étions fragiles comme des roses... Nous étions forts comme des lions... Et la lune changeait de forme, et la lune nous a abandonné... Je l'ai abandonné. Lâchement. Mes amis me disaient : "Laisse-le.". Mon coeur me disait : "Non".

La trêve entre Israël et le Hamas a sonné le glas de nos échanges... Il habitait mes nuits mais notre amour était condamné par les rites, par les frontières, par la médiocrité du monde. Nous étions trahis par les Hommes, par sa famille, par mes amis : par tous ceux qui n'avaient jamais connu de l'amour que des frottements musqués, vulgaires...

Je lui ai dit :
"C'est terminé. Je n'ai pas été capable de t'aimer, de t'accepter, de te comprendre.

Plus le temps passe et plus je suis PÉTRIFIÉ à l'idée de t'écrire.

Je préférais nos échanges épistolaires... Te rencontrer a tout fait rater. A tout gâché. La beauté. La ferveur. Que je ressentais. Tes yeux m'ont effrayé. Et je me suis senti repoussant.

J'ai peur de toi.

Tu me détestes mais j'aimerais qu'un jour tu me comprennes. Et me pardonnes.

Je n'oublierai jamais Gaza, Beyrouth, et tes mots."

(Ce qu'il m'a répondu à ce moment-là, nul ne le saura jamais sauf lui et moi.)


Et le temps a passé. J'ai cherché l'amour dans d'autres yeux, dans des contrées moins minées. J'ai cherché à l'oublier. J'ai perdu pied quelques fois, mais c'était toujours le désert qui m'entourait. Je me suis amouraché. J'ai succombé aux douceurs de miel des chairs entrelacées. Et j'ai oublié.




Ce matin, il m'avait écrit...

Mon coeur, ce matin, est une petite chose qui pleure dans ma main en palpitant comme un noyé qui cherche son air, qui lutte pour retrouver la vie... Je me suis souvenu. De tout. Et je meurs un peu à cause de toi, ô mon lion...

Parce que tu as osé m'écrire à nouveau :

"pour toujours...


je ne peux pas oublier
je me souviendrai pour toujours
de tes yeux oubliés
noyés en moi
oh qu'ils sont noyés

et dans tes nuits
je suis l'oublié
le rejeté
penses-tu que tu m'as acheté
(drame)
dramatique que tu es
de tes yeux carrément ivres
dans ton coeur terriblement brûlé
et me dis-tu
qui que tu sois
habibi ne te laisse plus aller
qui que je sois

et ces termes
laisse mes lettres respirer
écoutes-les
absorbes-les
ne m'as-tu pas fait perdre mon ciel
et ma terre
aide-moi à t’oublier
partir pour ne plus te retrouver
ni sur mon chemin
ni dans mes rêves
ni entre mes mains
ni sur mes lèvres

tu as laissé le temps partir
et les secondes ne reviennent jamais
part à jamais
je n'ai plus de coeur pour aimer
pourquoi de mes yeux fuir
alors qu'ils t'ont parcouru
corps et âme

et tu me demandes à quand t'aimer
chaque seconde t'était allouée
n'as-tu pas laissé les jours
de notre amour témoigner
et de tes lettres
de ta salive arrosées

et toi qui est fait
de lettre de café et de beauté
dans mon coeur éternellement
je veux pour toujours t'aimer
sans plus jamais te retrouver...

pour toujours..."

PARDONNE-MOI!!!! MON DIEU, QU'AI-JE FAIT. MON DIEU, J'AI SACRIFIÉ MON COEUR ET L'ANGE DU SEIGNEUR N'A PAS RETENU MA MAIN SACRILÈGE.

C'était la guerre à Gaza et j'étais prêt à tout sauf à ça. J'ai agi comme un insensé. Mais avais-je l'excuse d'être ivre d'amour?

5 commentaires:

  1. Bouhouhouhou!

    T'étais pas au Blog Off. :'(

    RépondreSupprimer
  2. Ok. Tu m'as pitché par terre ! 'à'terre ! WOW ! Un morceau d'anthologie, un intertexte incroyablement riche, une histoire d'amour incroyable, impossible, passionnée, chaude et à la fois d'une froideur. T'écris tellement bien ! J'aime toujours te lire, mais je pense que, pour moi, ça, c'est ton plus beau billet. Une grande richesse. Ça mérite beaucoup plus de visibilité que ça en a déjà ! Bravo!

    RépondreSupprimer
  3. @ Pierre-Luc : Non, je sais... J'aurais vraiment beaucoup aimé vous voir!!! La prochaine fois, promis!

    @ -A : C'est extrêmement apprécié. Ton commentaire me touche beaucoup. Pour ce qui est de la visibilité, je ne suis pas aussi lu que d'autres blogues, en effet, mais c'est la qualité qui compte (genre)!

    RépondreSupprimer
  4. C'est vraiment beau effectivement. Tu as vraiment beaucoup de talent en poésie. Mais c'est si triste. Tu ne l'as plus jamais revu

    RépondreSupprimer
  5. Nitram : Non, je ne l'ai plus jamais revu. C'était mieux comme ça. Mais ça m'a overbouleversé quand même. Je suis content que ça te plaise, la poésie c'est pas tout le monde qui aime ça... mais moi c'est ma façon d'exprimer ce que je suis.

    RépondreSupprimer

Faites comme chez Bast