Qu'est-ce qui a changé? - J'ai bradé la possibilité d'une oeuvre achevée, d'une oeuvre qui se lève résolument contre la mort, je l'ai effacée dans l'infini bavassage du web 2.0, du blogue. Mon dandysme est tel que je ne me suis pas aperçu de la superficialité inhérente au processus. Et porté par un langage pétri de ruines, solipsiste par nature, sexy par dérision, poétique par erreur de définition, je me suis voulu autodestructeur alors que les plans se succèdaient infiniment dans l'espace baroque, surchargé, en trompe-l'oeil, pléthorique de la cybernétique actuelle. Depuis quelques semaines, Bast l'auteur, cette illusion qui me dédouble et me menace à dessein, a retrouvé l'unité de mon être par nécessité : rencontrer Bast, c'est rencontrer l'autre. Et être nécessairement déçu. Car le masque, la persona Bast, est une promesse trahie. Il n'y a pas de Bast. Il n'y a que moi. Cet auteur est voué à l'échec par essence. Et c'est moi, alpha et oméga du masque, qui le met en échec. Je ne me crois plus. J'ai vu mon personnage intime, mon double, s'annuler dans le regard de ceux qui, le désirant réel, n'ont rencontré que moi : l'autre, l'indésirable moi.
Depuis quelques semaines, je suis davantage moi que je ne le fus jamais sur ce blogue. Je ne fais plus la différence. Je suis déplié. Alors que je me voulais médium, simple passage pour qu'un autre en moi s'exprime et me menace, j'ai repris le dessus que je ne pouvais pas ne pas reprendre. Mis en échec, le blogue perd son sens et manque d'intérêt, pour les autres comme pour moi-même. L'erreur est originelle. Seulement, la vérité m'a rattrapée. Je ne veux pas cesser d'écrire. Mais il faut, pour ce faire, que je réintègre mon identité exécrée, celle précisément à qui je criais : BASTA! Dans le silence qui va suivre, seule la parole de Foucault prend le relai, pour l'instant.
"Écrire, de nos jours, s'est infiniment rapproché de sa source. C'est-à-dire de ce bruit inquiétant qui, au fond du langage, annonce, dès qu'on tend un peu l'oreille, contre quoi on s'abrite et à quoi en même temps on s'adresse. [...] Et pour s'en défendre il faut bien qu'il en suive les mouvements, qu'il se constitue son fidèle ennemi, qu'il ne laisse plus entre eux que la minceur contradictoire d'une cloison transparente et infracassable. Il faut parler sans cesse, aussi longtemps et aussi fort que ce bruit indéfini et assourdissant - plus longtemps et plus fort pour qu'en mêlant sa voix à lui on parvienne sinon à le faire taire, sinon à le maîtriser, du moins à moduler son inutilité en ce murmure sans terme qu'on appelle littérature. Depuis ce moment, une oeuvre n'est plus possible dont le sens serait de se refermer sur elle-même pour que seule parle sa gloire." (Michel Foucault, Le langage à l'infini)
Elsie Russell, The Anatomy Lesson (1993, oil on canvas, 16" x 20")
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