
[à partout]
Gésir un long moment
Quelques ères
Molt lustres
Aux dernières lueurs
Diffuses
Gésir | avec toi | roi
Dans l'encorbellement
des mots
Fusent les dits
Des artères, de fureur
Inexorable
Tu es geyser
Tu es jaillissement
Et moi la
Terre


[à partout]
Gésir un long moment
Quelques ères
Molt lustres
Aux dernières lueurs
Diffuses
Gésir | avec toi | roi
Dans l'encorbellement
des mots
Fusent les dits
Des artères, de fureur
Inexorable
Tu es geyser
Tu es jaillissement
Et moi la
Terre
A FAERY SONG
Sung by the people of Faery over Diarmuid and Grania,
in their bridal sleep under a Cromlech
We who are old, old and gay,
O so old!
Thousands of years, thousands of years,
If all were told:
Give to these children, new from the world,
Silence and love;
And the long dew-dropping hours of the night,
and the stars above:
Give to these children, new from the world,
Rest far from men.
Is anything better, anything better?
Tell us it then:
Us who are old, old and gay,
O so old!
Thousands of years, thousands of years,
If all were told.
- William Butler Yeats (The Rose, 1893)
L'AVENIR NON PRÉDIT
Je te regarde vivre dans une fête que ma
crainte de venir à fin laisse obscure.
Nos mains se ferment sur une
étoile flagellaire. La flûte est à retailler.
À peine si la pointe
d'un brutal soleil touche un jour débutant.
Ne sachant plus si tant
de sève victorieuse devait chanter ou se taire, j'ai desserré le poing du Temps
et saisi sa moisson.
Est apparu un multiple et stérile
arc-en-ciel.
Ève solaire, possible de chair et de poussière, je ne
crois pas au dévoilement des autres, mais au tien seul.
Qui gronde,
me suive jusqu'à notre portail.
Je sens naître mon souffle nouveau
et finir ma douleur.
ENVOÛTEMENT À LA RENARDIÈRE
Vous qui m'avez connu, grenade dissidente, point du jour déployant le plaisir comme exemple, votre visage, -- tel est-il, qu'il soit toujours, -- si libre qu'à son contact le cerne infini de l'air se plissait, s'entr'ouvrant à ma rencontre, me vêtait des beaux quartiers de votre imagination. Je demeurais là, entièrement inconnu de moi-même, dans votre moulin à soleil, exultant à la succession des richesses d'un coeur qui avait rompu son étau. Sur notre plaisir s'allongeait l'influente douceur de la grande roue consumable du mouvement, au terme de ses classes.
À ce visage, -- personne ne l'aperçut jamais, -- simplifier la beauté n'apparaissait pas comme une atroce économie. Nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre.
Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir. Mais ai-je qualité pour m'imposer de vous survivre, moi qui dans ce Chant de Vous me considère comme le plus éloigné de mes sosies?
René Char (Fureur et Mystère)
BRISE MARINE
La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots ...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !Stéphane Mallarmé
LEUR ORIGINE
Leur plaisir défendu s'est accompli. Ils se sont levés du lit et s'habillent hâtivement sans parler. Ils sortent furtivement de la maison, et, comme ils marchent un peu inquiets dans la rue, ils semblent craindre que quelque chose sur eux ne trahisse à quel genre d'amour ils viennent de se livrer.
Mais combien l'artiste y gagne! Demain, après-demain, ou dans des années, il écrira de puissants poèmes dont l'origine est ici.(1921)
EN ATTENDANT LES BARBARES
- Qu'attendons-nous, rassemblés ainsi sur la place?
- Les Barbares vont arriver aujourd'hui.
- Pourquoi un tel marasme au Sénat? Pourquoi les Sénateurs restent-ils sans légiférer?
- C'est que les Barbares arrivent aujourd'hui. Quelles lois voteraient les Sénateurs? Quand ils viendront, les Barbares feront la loi.
- Pourquoi notre Empereur, levé dès l'aurore, siège-t-il sous un dais aux portes de la ville, solennel, et la couronne en tête?
- C'est que les Barbares arrivent aujourd'hui. L'Empereur s'apprête à recevoir leur chef; il a même fait préparer un parchemin qui lui octroie des appellations honorifiques et des titres.
- Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs arborent-ils leur rouge toge brodée? Pourquoi se parent-ils de bracelets d'améthystes et de bagues étincelantes d'émeraudes? Pourquoi portent-ils leurs cannes précieuses et finement ciselées?
- C'est que les Barbares arrivent aujourd'hui, et ces coûteux objets éblouissent les Barbares.
- Pourquoi nos habiles rhéteurs ne pérorent-ils pas avec leur coutumière éloquence?
- C'est que les Barbares arrivent aujourd'hui. Eux, ils n'apprécient ni les belles phrases ni les longs discours.
- Et pourquoi, subitement, cette inquiétude et ce trouble? Comme les visages sont devenus graves! Pourquoi les rues et les places se désemplissent-elles si vite, et pourquoi rentrent-ils tous chez eux d'un air sombre?
- C'est que la nuit est tombée, et que les Barbares n'arrivent pas. Et des gens sont venus des frontières, et ils disent qu'il n'y a point de Barbares...*
Et maintenant, que deviendrons-nous sans Barbares? Ces gens-là, c'était quand même une solution.Constantin Cavafy (avant 1911)
"De mon temps (je veux dire : au temps de ma jeunesse), ça ne se passait pas comme ça.
Nous n'aurions pas toléré ces fausses sorties, ces rentrées, ces retours inopinés de l'hiver après que déjà tout est mis en scène pour la féerie nouvelle. De mon temps, on savait à quoi s'en tenir. Rimbaud pouvait écrire : Eucharis me dit que c'est le printemps; après quoi l'on n'avait plus à rallumer les calorifères.
... on se dit : c'est remis à plus tard, et l'on se replonge dans la méditation, la lecture; mais non : la pièce a commencé tout de même; et quand, levant les yeux de dessus le livre, on regarde au dehors... "
(André Gide, Printemps)
"Quittant la Grèce à regret, j'avais traversé la Yougoslavie en proie à un délire blanc et rose, admiré des bosquets de lilas sauvages, des arbres fruitiers, cerisiers ou poiriers, frémissants de candeur et de-ci de-là les grêles gerbes incarnadines des pêchers, tous plus beaux que je ne me souvenais qu'ils pussent être; puis, au bord des eaux, une grande fleur jaune, au port d'asphodèle, que je ne connaissais pas encore et dont j'aurais voulu savoir le nom."
(André Gide, Printemps)
"Oui, pour être sensible au printemps, il y faut de la connivence et soi-même entrer dans le jeu. Alors l'adolescent soudain tressaille en écoutant, à l'aube, le chant du merle... il rougit d'entendre son secret palpitant divulgué; puis se rassure : la ville entière dort encore; il est seul à entendre; c'est affaire entre le merle et lui...
Qui n'a pas devancé l'aurore ignore tout ce qu'il peut se glisser, au printemps, dans les halliers, de frémissements, de frôlements incertains, de murmures. L'adolescent fervent, que tourmente une inquiétude inconnue, quitte son lit brûlant pour quêter la clef d'un mystère. C'est l'heure où le ciel, à l'orient, commence à pâlir. Comme un prisonnier qui s'évade, il quitte la chambre... le voici sous le vaste ciel, seul, éperdu de joie et bondissant comme un danseur; sa marche, en traversant la cour, est si légère qu'elle fait à peine crisser le gravier; il court vers le sentier du bois, s'y engage, offre son front à la rosée que secouent sur lui les branchages; il est de mèche avec le gibier..."
(André Gide, Printemps)
Je lis ce matin ce poème de René Char, et je pense à ce que j'ai perdu, et je m'adresse ces mots, ces phrases au «tu». Je me les adresse en murmurant, comme on lit la Torah, en hochant la tête, le corps, le monde entier.
Les braises peuvent flamber, mais elles s'éteignent insensiblement, à la fin. C'était un beau brasier. Ne regrettons pas les bûches et les embûches. Tout est calme, désormais, si rien n'est calme en nous-mêmes.
Je ne regrette rien. Tout m'est contact privilégié à mes limites, à mes Terra Incognita intérieures. Et c'est bien comme ça.
«J'HABITE UNE DOULEUR
Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau : tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.
Pourtant.
Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. À quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires...
Qu'est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?
Il n'y a pas de siège pur.»
(René Char, Le Poème pulvérisé, in Fureur et mystère)
vendredi 25 juillet 2008
BAST
Le flot de l'amour fatal
Va donc! va-t-en dormir ailleurs; laisse-moi seul;
laisse-moi complètement ivre et rôdant de nuit tout épris,
seul cette nuit jusqu'au matin, et dans le flot de ma folie;
si tu veux bien, pardonne et viens; sinon va-t-en, tourmente-moi!
Fuis loin de moi, de manière à ne pas tomber dans l'infortune!
...
Je reste seul avec mes pleurs, blotti dans le coin du chagrin;
tu peux donc en tout endroit faire tourner la meule de mes pleurs.
...
La nuit passée, j'ai vu en songe un vieillard au quartier d'Amour;
or de la main il me fit signe de venir à lui; il me dit:
"Si sur ta route est un dragon, l'Amour est comme l'émeraude;
par l'éclair de cette émeraude, mets vite en fuite ce dragon."
(Rumi)