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13.2.10

Exercice poétique









partout]


Gésir un long moment
Quelques ères
Molt lustres
Aux dernières lueurs
Diffuses


Gésir | avec toi | roi
Dans l'encorbellement
des mots


Fusent les dits
Des artères, de fureur
Inexorable
Tu es geyser
Tu es jaillissement
Et moi la
Terre




23.11.09

Quatre quatrains de Pierre Jean Jouve.


La guerre le vin le tabac les femmes
Le plaisir les hommes la guerre l'argent
Les femmes le plaisir les hommes les perles
Les affaires l'or le vin
(Je t'aime et je suis là) le soleil discordant.





Brûle ces coeurs ce sont des silex
Ces âmes des poutrelles d'acier, des billets de banque
Ces personnages ne sont pas vrais, brûle leurs poupées
Je suis si bas vois-tu que le ciel en est outragé.





Ma nature est le feu
(Je me consume donc) est-ce vrai est-ce bien vrai
La chose est consumée
Tes yeux à l'intérieur sont retournés
Une seconde vue vers le ciel les habite.





Je suis le Feu.
(Je t'aime Toi.) Tu es le Feu?
(J'accepte le mors, le joug...) L'Ardeur
Oui ma nature est feu et je te reconnais.
À l'aube tu me fais me lever de mes songes brisés
Détruis, détruis!
(Tu me refuses...) Et moi je suis les étincelles.



2.11.09

Le Crépuscule des Fées



(il miglior fabbro)


A FAERY SONG

Sung by the people of Faery over Diarmuid and Grania,
in their bridal sleep under a Cromlech



We who are old, old and gay,
O so old!
Thousands of years, thousands of years,
If all were told:

Give to these children, new from the world,
Silence and love;
And the long dew-dropping hours of the night,
and the stars above:

Give to these children, new from the world,
Rest far from men.
Is anything better, anything better?
Tell us it then:

Us who are old, old and gay,
O so old!
Thousands of years, thousands of years,
If all were told.


- William Butler Yeats (The Rose, 1893)




Nous chantâmes au couchant, au couchant nous entonnâmes nos chants, nos chants de gloire, nos chants de gloire, et nos lais anciens d'amours amers, d'amours et de remembrance des jours anciens, des joyeuses assemblées sous les étoiles.
Les belles gens s'accoquinaient, les belles gens s'encanaillaient, et les belles gens, les belles gens, au crépuscule prenaient les feux follets pour briquets.
Les rituels s'exaspérèrent avec une païenne exubérance parmi les convives maculés d'alcool et de baisers. Nous riâmes!

Sous un dolmen un jour lointain et inconnu nous nous endormirons pour quelques temps, quelques ères, quelques éternités à peine. On nous entendra soupirer d'amour et de sensualité jusqu'à Byzance, peut-être. Quelque éphèbe viendra nuitamment cueillir sur les tombes jumelles de précieuses larmes de fée, luisantes reliques lunaires de tes exaltations passées. (Il sera beau, son coeur sera doux comme l'herbe grise sous les étoiles, sa peau nue brillera par nos ensorcellements d'outre-tombe comme au temps d'avant notre endormissement sacré.)


Et par les sources qui ne coulent que par toi, qui ne remontent vers le ciel que par toi, que par ta magie, et par les verres d'eau de vie qui ne reflètent l'avenir et la folie et la féerie, que par nos bouffonneries, je te bénis, mon ami, je te bénis.



16.10.09

Porte-voix




Quand je suis fatigué à tel point que je ne sais plus mon nom

Quand mes mains glissent sans saisir, plissent sans plaisir

Quand les matins sont tellement cool qu'ils sortent dans le Mile End plutôt que de m'encenser et m'ensemencer telle une glèbe joyeuse

Quand le pays de pays, quand le nom de nom et le nom de pays semblent au bord de l'émeute, ça ira, ça ira

je prends une pause, j'éteins le je, je tais le nombre, je chiffre mes idées, je pose sur ma tête ma casquette amarante et je laisse le plaisir à Char de dire, je m'efface et me dissous dans les mots de Char.

C'est mon dada. Ma misère et mon enchantement. Le fin du fin de la fin des mots et des maux.


Et ça s'adresse à l'Achigan, directement, évidemment. Et (comme dirait Yourcenar) à quelques autres...


L'AVENIR NON PRÉDIT

Je te regarde vivre dans une fête que ma
crainte de venir à fin laisse obscure.

Nos mains se ferment sur une
étoile flagellaire. La flûte est à retailler.

À peine si la pointe
d'un brutal soleil touche un jour débutant.

Ne sachant plus si tant
de sève victorieuse devait chanter ou se taire, j'ai desserré le poing du Temps
et saisi sa moisson.

Est apparu un multiple et stérile
arc-en-ciel.

Ève solaire, possible de chair et de poussière, je ne
crois pas au dévoilement des autres, mais au tien seul.

Qui gronde,
me suive jusqu'à notre portail.

Je sens naître mon souffle nouveau
et finir ma douleur.



Trois toiles de Jan Toorop (un immense symboliste et un de mes artistes préférés de la Belle Époque)

11.10.09

Le plus beau des poèmes



Le plus beau des poèmes est celui dont les signes renvoient, ambivalence des signes en eux-mêmes et entre eux et partout autour du poème, à l'infini de l'amour que le lecteur y trouve. Le plus beau des poèmes, ou le plus vrai, consiste en ceci qu'il parle pour chacun, en chacun, au nom de tous à chacun, au nom de chacun à tout le monde, et qu'il ne parle que pour soi sans jamais oublier sa visée universelle d'embrassement ou d'embrasement ; feu et baiser, incendie des lèvres amoureuses qui vibrent au son du poème qui s'allume dans la voix, dans le regard, dans les mains, dans les sexes. Le poème vibration est une onde de choc qui place chaque geste dans un non-contexte parfait, dans un non-lieu toujours situé en deçà des idées, toujours ici, à jamais maintenant, arraisonné sur un coup de glotte qui le renvoie à son inexistence totale de pur amour, de pure énergie. C'est le vertige sonore de la conquête du sens sur le chaos du bruit, et c'est le silence flagrant, fulgurent, et comme démultiplié dans sa chair vive de mots estropiés pour toucher à travers un vide vibrant, sans bruit, sans bruit, le coeur excellent de la réalité la plus haute, la plus belle.

Je suis fier de chaque personne qui réussit à se lire, à se découvrir dans un vers, dans une strophe, dans un mot, dans un silence. Et au plus près de soi, dans l'éloignement absolu de soi, quant à soi qui n'est pas plus qu'une caresse durant la nuit, un dévoilement, un retour sur origine ou dans la brunante du sensé, perdre soudain contact avec le ronronnement du quotidien pour se sentir moins seul à vivre et à mourir -- ces termes d'un contrat trop vaste, qui tourne court, et qui court à perdre haleine.

Éloge de vous, ô tels que vous êtes, soyez toujours, et aimez-moi si vous m'aimez, car je serai mieux demain, je serai plus grand demain.




ENVOÛTEMENT À LA RENARDIÈRE

Vous qui m'avez connu, grenade dissidente, point du jour déployant le plaisir comme exemple, votre visage, -- tel est-il, qu'il soit toujours, -- si libre qu'à son contact le cerne infini de l'air se plissait, s'entr'ouvrant à ma rencontre, me vêtait des beaux quartiers de votre imagination. Je demeurais là, entièrement inconnu de moi-même, dans votre moulin à soleil, exultant à la succession des richesses d'un coeur qui avait rompu son étau. Sur notre plaisir s'allongeait l'influente douceur de la grande roue consumable du mouvement, au terme de ses classes.

À ce visage, -- personne ne l'aperçut jamais, -- simplifier la beauté n'apparaissait pas comme une atroce économie. Nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre.

Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir. Mais ai-je qualité pour m'imposer de vous survivre, moi qui dans ce Chant de Vous me considère comme le plus éloigné de mes sosies?


René Char (Fureur et Mystère)




Le plus beau des poèmes, c'est celui où l'auteur n'est autre que l'amour comme envoûtement, et qui parle de Vous quand je parle pour moi. Je ne connais d'autre moment plus envoûtant que celui-ci, où, dans le crépuscule des amours décevants, ma route est un vent, les corps vieillis crachant sur les images les plus bêtement stylisées du songe érotico-létal, pour que nos sourires témoignent de notre entendement, et nos yeux se trouvent enfin,et se parlent enfin ; rencontre vitale parmi les non-rencontres virtuelles assemblées sur les cartes du Voyant.



Mes ans sont ceux qui me restent. Merci pour café, le gîte et le couvert. Éloge de Votre amour.


Je suis né le 11 octobre, il y a quarante mille ans. Mais je nais à chaque fois que nous récitons en silence le plus beau des poèmes pour nous réconforter, ensemble.


Bast



15.9.09

Pistes



Mes questions intolèrent les avanies impromptues, celles qui m'éloignant toujours trop tôt de moi-même en tant qu'ouverture sur l'extériorité, sur l'intangibilité du non-moi, malaxent les termes et les temps impartis, les chairs aux molécules si fines qu'on les dirait tissées de larmes de fées, et les moellons mal dégrossis du corps/esprit : épatante pâte, peut-être, mais si frêle, si poids-plume dans le pancrace des heures!






Blanc-seing pour penser, en retard et détriment du rythme réel (travail, travail et sommeil) :



Il y a des matins où, avant même l'aurore et sa force, je pisse la joie par tous les pores ; le parc Lafontaine me répond par ses enchevêtrements sphériques de vieille Diotime stoïcienne aux châles long, allitérés. Bruits pression atmosphérique taux d'humidité demi-jour clair-obscur et sfumato des abstractions tranquillement violentes qui s'incarnent dignement en toute chose reliée/déliée, et je comprends que des dieux il n'est rien à craindre puisque les forces atomiques, subatomiques, nucléaires faible et forte, prises en elles-mêmes, ne concourent à rien sinon à se vouloir elles-mêmes indépendemment du reste, et qu'elles n'y peuvent mais ; et le reste, c'est moi qui marche à 5h du matin dans le parc aux filaments argentés sur les tempestives langueurs des choses...





Perpendiculairement, et c'est tant mieux, je songe aussi que les récits se prennent pour des dieux, ce qui les rend moins hideux que leurs auteurs engoncés dans qui les folies du temps, qui les malices du cloître, qui les foires aux vanités où ils passent, et c'est pure nécessité, toujours déjà à côté de la vie. L'auteur se cherche alors que l'oeuvre se trouve, ou l'inverse, car au fond c'est la même histoire, c'est Homère qui ignore la beauté d'Athènes au couchant, et c'est Shakespeare qui n'est pas Hamlet, et c'est Lautréamont qui se fait enculer très-vite et très-anonymenent dans une ruelle par Rimbaud, et c'est Borges qui n'a jamais lu Tolkien. Découvrir le chef-d'oeuvre inconnu, être le premier, franchir les terrae incognitae avant les béotiens et les coquins, c'est la pulsion ancestrale du mâle alpha qui dévierge tout à grands coups de queue sanguinolente, qui dévierge tout ce qui a des trous et du mou; or la littérature, comme une pucelle ou une pute, a du mou et pleins de petits trous palpitants. Or, dans la débandade du mâle qui suit immédiatement l'éjaculation des mots, toujours de trop, il y a l'impuissance en puissance, la sénilité en émergence, et la peur du vide (celui qui vient d'être pilonné et qui s'est, par osmose, par échange de bon procédé, transféré dans le corps fourbu de l'homme) : éternelle insatisfaction, retour à l'origine, à la matrice, aux noirceurs infectes de la solitude primordiale ; ce n'était que cela... Ça n'a pas duré, tout est à recommencer, ailleurs, toujours plus loin, car on ne dévierge pas deux fois... et il faut continuer de défoncer des cons inexplorés. La bite cherche le vide qui au fond est en elle-même en tant que bite incarnée. Ainsi fait le littérateur, et ainsi parlait le pauvre Zarathoustra... De tous les philosophes qui inspire les jeunes têtes brûlées assoiffées de dépucellage incandescent, incessant, Nietzsche est sans contredit le plus emblématique, sinon le principal promoteur de la chose.







Et pourtant nous sommes quelques uns à croire possible le bonheur près de toi, Arthur Rimbaud! René Char et d'autres montrent d'autres voies, à ceux dont le but n'est pas d'être poète mais de faire de la poésie...





«... et le poète devient l'ennemi amer de la figure du poète. » Et aussi : «Il arrive que les écrivains et les artistes répondent à l'appel de la communauté par un retranchement frivole, au puissant travail de leur siècle par une glorification de naïve de leurs secrets oisifs, ou encore par un désespoir qui les fait se reconnaître, comme Flaubert, dans la condition qu'ils refusent. Ou bien ils pensent sauver l'art en l'enfermant en eux-mêmes : l'art serait un état d'âme; poétique voudrait dire subjectif. » (Maurice Blanchot, Le livre à venir)







À cette forme possible de l'apparence du poète ( c'est-à-dire le crève-la-dalle antisocial, le violent, le fort, le hasardeux que septembre ramène, etc.), qui se veut l'unique, la bonne, la véritable identité du créateur (volonté de puissance, c'est-à-dire de dévierger, de posséder en premier, de dominer les autres, mâles et femelles de la tribu d'origine, du clan toujours recherché/repoussé), nous répondons par une terrible diversité, souvent contradictoire, à mille milles de ces petites images tristes qui font de gosses pleins de talents des psychotiques en devenir, et plus qu'en puissance.






J'ai envie de tous ces étudiants de McGill que je regarde, que j'observe, tout autour de moi lorsque je sors fumer une cigarette, populace bigarrée, tigrée, pommadée et roucoulante, j'ai le sourire négligemment aux lèvres, et la libido au point d'ébullition atteint.





(Je dois m'arrêter pour l'instant ; c'est le temps de me pitcher des garnottes de sur ma face ravagée par la barbe de hipster et l'ironie acerbe du dandy, pendant que je me penche pour ramasser mes boutons de manchette garnis de cabochons rubis, pendant que j'ai la caboche préoccupée par le travail plutôt que par la blogo, pendant que j'ai le cul en l'air et les idées par terre. Bastbises!)

22.8.09

Fantasme

Je rêve d'un milieu littéraire (pas juste les happy fews qui ne font pas les médias, mais bien un ensemble plutôt organisé, diffusé, qui tient le haut du pavé) à la fois glamour et décadent, brillant et superficiel, hypersexy et pourtant d'une qualité extrêmement solide. Pas juste des "poseurs". Des créateurs. Des vrais. Des gens qui vénèrent la beauté, l'étrangeté, la poésie de Mallarmé et les lychee Martinis. Qui écrivent des trucs qu'on n'a pas encore lus, des choses libres et classy, libertines et burlesques. Profondes, surtout. Pas de la chicklitt ou de la poppsycho à deux balles.


À la place des Nadine Bismuth et autres auteurs à crever d'ennui ; à la place des interviews calamiteux à la Lorraine Pintal ; à la place des poètes trop sérieux qui se lisent entre eux des choses ronflantes et convenues... je rêve de voir une majorité, une large majorité de jeunes auteurs prendre toute la place, sexy comme Mélodie Nelson ou Alyss, irrévérencieux comme le Bélître de Vivisection pseudopathologique, intello mais branchés comme Maphto, et lyriques comme l'Achigan, madame Blue et Filigrane. Entre autres.


Je rêve à des partys littéraires où l'alcool coule à flot sur du strass, des souliers dorés, des livres aux couvertures trashy, des maquillages baroques, des gommes ballounes qui éclatent... Je rêve de voir un univers littéraire moins inspiré par TVA, ou les shows de chaises des années 90 (genre Bouillon de culture, Sous la couverture...), que par un vidéoclip de Donzelle.



Je veux des androgynes, des gays fofolles, des drags, des stars, des scandales, du fric et des Lady Gaga... D'ailleurs, j'adore le trip, le canular, que s'est tapé une autre Lady, la belle Guy, sur Bukowski... à méditer! Pourquoi la littérature devrait-elle être soporifique, et guindée, et conventionnelle? Tellement... premier degré? Pourquoi ne pas s'inspirer des artistes qui réinventent d'autres domaines esthétiques, qui se frottent de kitsch, qui se plongent dans les nouvelles technologies, qui jouent sur plusieurs fronts, multidisciplinaires, et qui maîtrisent à la fois le marketing et les classiques?


C'est juste un fantasme de samedi plate. Peut-être que les choses sont en train de changer, mais à écouter à la Première chaîne l'émission littéraire Vous m'en lirez tant, à lire les revues littéraires montréalaises (à part quelques petites publications vraiment cool), et à vivre au Québec, entouré de bien pensants conservateurs (ceux qui écoutent TVA -- exemple facile -- ne se rendent pas compte à quel point la représentation du monde qui s'y expose est ultraléchée, ennuyante à mourir, cheap et médiocre), on désespère un peu de voir du kinky, de la subversion coquine, du plaisir décadent envahir soudainement les glauques corridors de départements littéraires de nos universités. En fait, je ne sais pas trop ce que je veux, ce que je rêve de vivre, sur quoi je fantasme. Mais il me semble que ça fait longtemps qu'il n'y a pas eu de grand bouleversement, de grande révolution des genres, d'école ou de réunion d'auteur sous une bannière manifeste, d'avant-garde jeune, dans la sacro-sainte littérature... en particulier au Québec. Alors que des arts comme la musique et le théâtre (Robert Lepage...), les arts visuels, éclatés et avant-gardistes, réussissent tant bien que mal à s'opposer aux inerties locales.


Il y a des époques dans l'histoire de l'humanité où ça a existé : Vienne au 19e siècle, Paris au début 20e, le New-York beatnik, le Londres des dandys... que sais-je encore. Des générations entières, qui pondaient des chefs-d'oeuvres en s'amusant comme des démons. Tout en s'envoyant en l'air, bien fringués, bien friqués, bien baisés.


Puis, il y a eu les années 80 et 90, les cols roulés bruns, et Denise Bombardier (et sa soeur).


Damn it.

9.8.09

Last call Lascaux



(Musique d'accompagnement : Portishead)


Dimanche pm, j'écoute en boucle de la musique sur mon portable, je regarde mon frigo décongeler, je pense à ma vie, c'est fou comme je me sens préhistorique.

Et de fait, René Char me vient en tête, ça coule et ça colle dans mon occiput, de la dèche poétique pour féconder le futur sans savoir si ça donnera quelque chose, à la fin.



LASCAUX

René Char





I

HOMME-OISEAU MORT ET BISON MOURANT


Long corps qui eut l'enthousiasme exigeant,
À présent perpendiculaire à la Brute blessée.

Ô tué sans entrailles!
Tué par celle qui fut tout et, réconciliée, se meurt;
Lui, danseur d'abîme, esprit, toujours à naître,
Oiseau et fruit pervers des magies cruellement sauvé.




("Le langage en qui parle l'origine, est essentiellement prophétique. Cela ne signifie pas qu'il dicte les événements futurs, cela veut dire qu'il ne prend pas appui sur quelque chose qui soit déjà, ni sur une vérité en cours, ni sur le seul langage déjà dit ou vérifié. Il annonce, parce qu'il commence. Il indique l'avenir, parce qu'il ne parle pas encore, langage du futur, en cela qu'il est lui-même comme un langage futur, qui toujours se devance, n'ayant son sens et sa légitimité qu'en avant de soi [...]" - Maurice Blanchot, La Bête de Lascaux)




II

LES CERFS NOIRS


Les eaux parlaient à l'oreille du ciel.
Cerfs, vous avez franchi l,espace millénaire,
Des ténèbres du roc aux caresses de l'air.
Le chasseur qui vous pousse, le génie qui vous voit,
Que j'aime leur passion, de mon large rivage!
Et si j'avais leurs yeux, dans l'instant où j'espère?




("Dans chacune des oeuvres de René Char, nous entendons la poésie prononcer le serment qui, dans l'anxiété et l'incertitude, l'unit à l'avenir d'elle-même, l'oblige à ne parler qu'à partir de cet avenir, pour donner, par avance, à cette venue, la fermeté et la promesse de sa parole." - Maurice Blanchot, La Bête de Lascaux)





III

LA BÊTE INNOMMABLE


La Bête innommable ferme la marche du gracieux troupeau, comme un cyclope bouffe.
Huit quolibets font sa parure, divisent sa folie.
La Bête rote dévotement dans l'air rustique.
Ses flancs bourrés et tombants sont douloureux, vont se vider de leur grossesse.
De son sabot à ses vaines défenses, elle est enveloppée de fétidité.

Ainsi m'apparaît dans la frise de Lascaux, mère fantastiquement déguisée,
La Sagesse aux yeux pleins de larmes.



("Toute parole commençante, bien qu'elle soit le mouvement le plus doux et le plus secret, est, parce qu'elle nous devance infiniment, celle qui ébranle et qui exige le plus : tel le plus tendre lever du jour en qui se déclare toute la violence d'une première clarté, et telle la parole oraculaire qui ne dicte rien, qui n'oblige en rien, qui ne parle même pas, mais fait de ce silence le doigt impérieusement fixé vers l'inconnu." - Maurice Blanchot, La Bête de Lascaux)




IV

JEUNE CHEVAL À LA CRINIÈRE VAPOREUSE


Que tu es beau, printemps, cheval,
Criblant le ciel de ta crinière,
Couvrant d'écume les roseaux!
Tout l'amour tient dans ton poitrail :
De la Dame blanche d'Afrique
À la Madeleine au miroir,
L'idole qui combat, la grâce qui médite.



("La nature est puissante sur cette oeuvre, et la nature, ce n'est pas seulement les solides choses terriennes, le soleil, les eaux, la sagesse des hommes durables, ce n'est pas même toutes choses, ni la plénitude universelle, ni l'infini du cosmos, mais ce qui est déjà avant tout, l'immédiat et le très lointain, ce qui est plus réel que toutes choses réelles et qui s'oublie en chaque chose, le lien qu'on ne peut lier et par qui tout, le tout, se lie. La nature est, dans l'oeuvre de René Char, cette épreuve de l'origine, et c'est dans cette épreuve où elle est exposée au jaillissement d'une liberté sans mesure et à la profondeur de l'absence de temps que la poésie connaît l'éveil et, devenant parole commençante, devient la parole du commencement, celle qui est le serment de l'avenir." - Maurice Blanchot, La Bête de Lascaux)





Mon congélateur coule de partout sur le plancher taché, usé, où je me traîne comme un chasseur aux aguets, sagaie à la main et les idées en pagailles ; qu'elles eussent voulu seulement m'apparaître et j'aurais fait long feu de mes oeuvres futures ; joute en émoi, en moi je me terre, et la prescience des débuts fonde la promesse de grands écobuages sur les peaux pariétales où je dessinerai l'espoir de mes seuls instruments, doigts, paumes, langue, sexe.

Prendre la mesure du présent, c'est le cadeau de l'éternité aux mortels qui se projettent sur les rivages du rêve ou les parois à venir de l'art.


(En d'autres mots. Mon désir orne la promesse de l'aube renouvelée sur les sexes exposés du cyberespace ; d'autres fièvres à venir.)

29.3.09

La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres...

(Turner)



BRISE MARINE

La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature !

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots ...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !


Stéphane Mallarmé





(Turner)



Ressaisissons-nous, Bast, et allons dormir, puisque la chair est triste, hélas, etc. J'ai attendu toute la nuit en pure perte : un texto, un message, un signe, un appel. Quelque chose pour me changer les idées. (Sachant pourtant que tout est tranquille juste avant que tout chavire, et que c'est dans les prochains jours que ça va débouler, parce que rien ne résiste dans la durée).

L'air est lourd de tension comprimée, sur le point de s'échapper et de tout bouleverser (encore). J'écris en état de fièvre, littéralement, même si tout ce billet est plein de mélancolique ironie : "bon bon bon..." (entendre : voilà, ça recommence... je suis vraiment difficile à suivre... et un peu pitoyable, les yeux cernés de fatigue, la cigarette qui fume dans le cendrier plein, et cette indéfinissable propension à fuir - d'aucuns diraient sublimer - le suspense dans l'inauthenticité d'une posture stylistique, esthétique.) Comme Proust dans le cabinet aux effluves d'iris, je me concentre sur ce qu'il y a de plus intime, même vulgaire ; parce que derrière le prestige des mots et des images, on ne sent pas vraiment la merde. Je me concentre, mais pour rire de moi... (Mallarmé et Turner : franchement! je suis pathétique.)

Volupté des orages, volupté des marées, volupté des dangers, volupté des chairs (même tristes), et dans les flots noirs de la vie, je navigue ainsi à vue, entre deux voluptés. C'est dire si je suis mal parti...

23.3.09

Miscellaneous 7

Je suis fait pour le sexe à plusieurs. Loin de me sentir un peu mis de côté, ou timide, c'est dans le triolisme que je perds mes inhibitions, que je lâche mon propre ego, et que je m'éclate. Parfois, dans le face à face d'un rapprochement à deux, je me sens un peu trop observé, un peu trop concentré sur quelqu'un plutôt que sur le sexe en soi (la Forme platonicienne du sexe). À deux, je suis à mon meilleur quand l'amour nous fusionne ; sinon, si les émotions n'y sont pas, ce n'est que de la mécanique. Mais bon, ça dépend aussi de l'amant en question, ça peut être délicieux et très beau. Ce que je veux dire, c'est que j'ai vraiment le sexe généreux et compétitif... L'esprit d'équipe, quoi.


À l'hôpital ce matin, des dizaines de personnes pour les prélèvements. Pas beaucoup de jeunes, alors ça pue, un peu, même si ça ne me dérange pas parce que j'ai beaucoup de plaisir à côtoyer des personnes âgées, mais de là à faire comme si les vieux ne sentaient pas bizarre... C'est comme les enfants, en fait, mais à l'envers : les enfants, ça pue. Ça sent le suri. J'haïs cette odeur-là. Les aînés, eux, sentent le moisi. À chaque âge son odeur, sa fragrance naturelle. À chaque âge son intolérance aux exhalaisons des autres groupes d'âge. Quand on a huit ans, on trouve que les adultes sentent la mort à cause du café, de la sueur et de la cigarette. Quand on en a quinze, on trouve que les enfants sentent le pipi et on ne s'aperçoit pas vraiment qu'on pue des pieds. À vingt ans, moindrement on est normal, agréable à regarder et en santé, on pue le sexe à plein nez (surtout les gars, je crois, mais je suis mal placé pour juger). À trente, on trouve que tout le monde pue sauf soi-même et la brunette aux seins refaits qui lance des cris stridents au bar en s'aspergeant des shooters à moitié sur la blouse Winners (qui ne lui a coûté que 5$, répète-t-elle trois octaves trop haut à ses amies de fille ébaubies d'un tel rabais). À soixante... je ne sais pas, je ne suis pas rendu là, et j'ai oublié de demander aux autres patients qui attendaient leur tour ce matin avec moi dans la salle d'attente ridiculement petite. Peut-être que je devrais demander à Foglia. Peut-être que les vieux, malheureusement, ne sentent plus que l'odeur des souvenirs, comme une vieille feuille de bounce qui les suivrait partout, tout le temps...


Faire pipi dans un tube sans entonnoir, c'est tough en criss.


Boire du café et fumer des cigarettes le matin, c'est comme être à jeun quand même, non?


Dans le brouhaha de la salle d'attente, entouré de souffreteux ramassés sur eux-mêmes, de jeunes et ternes infirmières déjà blasées de leur quart de travail, et de vieilles chipies qui chiâlent contre le "système" comme des adolescents anarchistes (je crois d'ailleurs que ce sont les mêmes drogues que prennent les uns et les autres, les punks et les aïeules), je ne gratte même pas les taches sur mes jeans, je fixe le vide en mâchant mentalement les douces épices de Constantin Cavafy...

LEUR ORIGINE

Leur plaisir défendu s'est accompli. Ils se sont levés du lit et s'habillent hâtivement sans parler. Ils sortent furtivement de la maison, et, comme ils marchent un peu inquiets dans la rue, ils semblent craindre que quelque chose sur eux ne trahisse à quel genre d'amour ils viennent de se livrer.
Mais combien l'artiste y gagne! Demain, après-demain, ou dans des années, il écrira de puissants poèmes dont l'origine est ici.

(1921)


Je me suis masturbé dans sa chambre, l'autre fois. C'était ridicule et beau comme les actes gratuits que sont toute profanation, toute transgression. Je me sentais comme un adolescent, à la fois pervers et pur, arrogant et fragile. Tâtant les choses qui sont pour lui quotidiennes et pour moi inouïes, palpant le lit et les livres en lesquels il repose, malgré lui, je me suis branlé comme un somnambule. C'était la nuit, il avait laissé traîner une paire de jeans et quelques objets hétéroclites sur le lit. J'espère seulement que ce n'était pas le pantalon de son conjoint.


Près de moi dans la salle d'attente ce matin, deux vieilles soeurs identiques jusqu'à la coupe de cheveux et à la forme dégueulasse des sourcils rehaussés de crayon brun. Des soeurs ou des amantes? Ou les deux? Elles étaient trop pareilles, - même toux râclée, même posture, mêmes commentaires désobligeants sur les noms (rarement bien prononcés par l'infirmière) des appelés, mêmes questions inlassablement reposées malgré l'absence de réponse - pour ne pas être louches.


Mon chat s'amuse beaucoup à tenter d'attraper ma main, enserrant mon avant-bras de ses pattes pour mieux tirer à soi l'étrange forme à cinq doigts mobiles... Je ne déteste pas me sentir égratigné, lacéré...


EN ATTENDANT LES BARBARES

- Qu'attendons-nous, rassemblés ainsi sur la place?
- Les Barbares vont arriver aujourd'hui.
- Pourquoi un tel marasme au Sénat? Pourquoi les Sénateurs restent-ils sans légiférer?
- C'est que les Barbares arrivent aujourd'hui. Quelles lois voteraient les Sénateurs? Quand ils viendront, les Barbares feront la loi.
- Pourquoi notre Empereur, levé dès l'aurore, siège-t-il sous un dais aux portes de la ville, solennel, et la couronne en tête?
- C'est que les Barbares arrivent aujourd'hui. L'Empereur s'apprête à recevoir leur chef; il a même fait préparer un parchemin qui lui octroie des appellations honorifiques et des titres.
- Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs arborent-ils leur rouge toge brodée? Pourquoi se parent-ils de bracelets d'améthystes et de bagues étincelantes d'émeraudes? Pourquoi portent-ils leurs cannes précieuses et finement ciselées?
- C'est que les Barbares arrivent aujourd'hui, et ces coûteux objets éblouissent les Barbares.
- Pourquoi nos habiles rhéteurs ne pérorent-ils pas avec leur coutumière éloquence?
- C'est que les Barbares arrivent aujourd'hui. Eux, ils n'apprécient ni les belles phrases ni les longs discours.
- Et pourquoi, subitement, cette inquiétude et ce trouble? Comme les visages sont devenus graves! Pourquoi les rues et les places se désemplissent-elles si vite, et pourquoi rentrent-ils tous chez eux d'un air sombre?
- C'est que la nuit est tombée, et que les Barbares n'arrivent pas. Et des gens sont venus des frontières, et ils disent qu'il n'y a point de Barbares...

*

Et maintenant, que deviendrons-nous sans Barbares? Ces gens-là, c'était quand même une solution.


Constantin Cavafy (avant 1911)








Je me suis fait des listes. Des listes de listes et des fausses listes. J'ai fait les listes de mes mensonges, de mes échecs et de mes peurs. J'ai fait la liste de ce que je ne serai jamais. Et la liste de ce qui concerne des gens que je ne connais pas encore, ou que je n'ai jamais voulu connaître. J'ai peut-être aussi rêvé à une liste des formes que prennent les joues des gens qui font du parachute. Mais j'ai assurément fait ces listes-ci :

Ce que j'écoute ces temps-ci :
- Fever Ray
- The Microphones
- White Chalk de PJ Harvey
- The Crying Light d'Antony and the Johnsons
- Barbara
- Volta de Björk
- The Good, the Bad and the Queen
- Richard D. James Album d'Aphex Twin
- Ruby Blue, de Roisin Murphy
- MGMT
- For the Roses de Joni Mitchell
- OK Computer de Radiohead
- Le soundtrack du film Party Monster.


Ce que j'ai envie de lire :
- Le Pléiade de René Char
- La biographie de Julien Gracq qui est parue il y a pas longtemps
- Des livres de Jauss et des autres auteurs de l'École de Constance
- L'Intranquilité de Pessoa
- Christianisme, tolérance sociale et homosexualité de John Boswell (dont je n'avais lu que certains chapitres pour un cours d'éthique)
- Le blogue de mon cousin :

http://www.lordjici.blogspot.com/





Mantra de la semaine :




21.3.09

Réveil mystique

(Dédicace toute spéciale et affectueuse à
-A,
l'Achigan
et PL)




Coulent en mes veines et mes nerfs de profuses sèves mielleuses. Un goût de crème, onction matutinale, sur mes lèvres... Mon corps vieillit! Je n'ai plus la fraîcheur délicatement pure de mes quinze ans! C'est de géométries alternatives que s'inspirent désormais mes gènes. Partons tout de même! Chassons la langueur! J'ai soif de délicates et déliées ferveurs nouvelles. Exultet! Exultet!



"De mon temps (je veux dire : au temps de ma jeunesse), ça ne se passait pas comme ça.

Nous n'aurions pas toléré ces fausses sorties, ces rentrées, ces retours inopinés de l'hiver après que déjà tout est mis en scène pour la féerie nouvelle. De mon temps, on savait à quoi s'en tenir. Rimbaud pouvait écrire : Eucharis me dit que c'est le printemps; après quoi l'on n'avait plus à rallumer les calorifères.

... on se dit : c'est remis à plus tard, et l'on se replonge dans la méditation, la lecture; mais non : la pièce a commencé tout de même; et quand, levant les yeux de dessus le livre, on regarde au dehors... "

(André Gide, Printemps)






"Quittant la Grèce à regret, j'avais traversé la Yougoslavie en proie à un délire blanc et rose, admiré des bosquets de lilas sauvages, des arbres fruitiers, cerisiers ou poiriers, frémissants de candeur et de-ci de-là les grêles gerbes incarnadines des pêchers, tous plus beaux que je ne me souvenais qu'ils pussent être; puis, au bord des eaux, une grande fleur jaune, au port d'asphodèle, que je ne connaissais pas encore et dont j'aurais voulu savoir le nom."

(André Gide, Printemps)



Mes amis je suis las. Cent fois j'ai soufflé sur les braises qui pendent tristement aux branches des ormes, des bouleaux, des érables, des tulipiers, des ifs et des pruniers de mon paradis royal, sans même m'apercevoir que mon haleine était encore embuée de sommeil ou de phrases ; ce fut sur les coups de quatre heures, à l'heure où s'éveillent les dieux enfermés comme des confitures dans leurs statues hermétiques, puissent-ils ne jamais souffrir du froid de la fin des songes, que je marquai d'un sourire, signature mystique, les traces odoriférantes de plusieurs amitiés contractées dans l'année ; l'hiver s'en fut! les oiseaux fouettent mon chat Perse de leurs cris de femme! on sort les meilleures huiles, parfumées durant l'hiver en petites amphores précieusement marquées par la plume mauve d'une main d'esclave ; favorisant les fumigations sacrées, certains flamines enlèvent leurs bonnets en se passant une main triste sur le front, mais je les plains, car sur les terres encore blêmes du sang des nuages, les sacrifices ne sont plus de saison : Exultet! Exultet!





"Oui, pour être sensible au printemps, il y faut de la connivence et soi-même entrer dans le jeu. Alors l'adolescent soudain tressaille en écoutant, à l'aube, le chant du merle... il rougit d'entendre son secret palpitant divulgué; puis se rassure : la ville entière dort encore; il est seul à entendre; c'est affaire entre le merle et lui...

Qui n'a pas devancé l'aurore ignore tout ce qu'il peut se glisser, au printemps, dans les halliers, de frémissements, de frôlements incertains, de murmures. L'adolescent fervent, que tourmente une inquiétude inconnue, quitte son lit brûlant pour quêter la clef d'un mystère. C'est l'heure où le ciel, à l'orient, commence à pâlir. Comme un prisonnier qui s'évade, il quitte la chambre... le voici sous le vaste ciel, seul, éperdu de joie et bondissant comme un danseur; sa marche, en traversant la cour, est si légère qu'elle fait à peine crisser le gravier; il court vers le sentier du bois, s'y engage, offre son front à la rosée que secouent sur lui les branchages; il est de mèche avec le gibier..."

(André Gide, Printemps)



(Nijinski)

J'avance au son des fifres dans ma tête de tête. Mon coeur de coeur s'élance comme le coureur au bloc de départ. Mes mains, de mains! saisissent le jour.


Grande la ferveur au coeur des flamines blancs qui s'aspergent de sang neuf. Grandes nos espérances et grand le sourire dans mon cou qui frémit comme les bêtes au retour de toutes flamboyances déchues. Grand! Et c'est ce que nous ne disions plus! Grand! Mes yeux s'emplissent de miel, s'emplissent de crème fraîche, et mes doigts se réchauffent directement sur le ciel! Exultet!






"J'ai vu, depuis, les plaines du Maroc s'iriser, se diaprer de soucis orangés, de petits liserons bleus, de maintes fleurs riantes. J'ai vu sous les palmiers d'El Kantara, abrités par les hautes palmes, les abricotiers blancs bruissant d'abeilles abriter à leur tour les champs d'orge. J'ai vu le cimetière de Blidah... s'emplir de roses; son bois sacré de chants d'oiseaux. J'y venais en convalescent et sentais, comme en moi, la nature entière se réveiller enfin de sa léthargie de l'hiver. J'ai vu les plaines de Lombardie hasarder leurs premiers sourires; j'ai vu s'emplir de bouquets Rome et Florence..."

(André Gide, Printemps)





"Et j'allais m'en retourner vers de plus amènes contrées, lorsque soudain, gravissant une petite éminence et m'écartant de la forêt dormante, je découvris sur un espace découvert où s'attardaient des pans de neige, un peuple de petits crocus blancs, soyeux, délicats, qui n'en pouvaient plus d'impatience ayant leur mot à dire, et risquant leur fragilité à travers le feutre épais des mousses. Et j'en aurais pleuré de tendresse, car cette réaffirmation de l'amour, de la vie, ne paraît jamais plus émouvante que lorsque la mort l'environne. De même les grandes orobanches mauve pâle prenaient une éloquence inespérée dans le sable désolé du désert. De même, à Olympie, ce dernier printemps parmi les ruines..."

(André Gide, Printemps)


C'est vent de grande solennité pour les incartades incertaines, revivifiées! Et nos plissements d'oeil se sentent aux détours du ciel sur nos nuques comme des appels harmonieux de pieux animaux en pacage. Bientôt les écobuages seront patinés de vert tendre. Bientôt les voix souffleront comme de grandes soeurs sur le doux drapé des choses. Bientôt mes offrandes seront exaucés, se dit en aparté le chercheur angoissé de métaphysiques nouvelles. Il faut bien que quelque chose meure pour que tout le reste vive : O felix culpa, quae talem ac tantum meruit habere redemptorem !



17.3.09

Sept ans en musique


Pour finir, nous sommes et resterons
amis de la musique, comme nous
restons amis du clair de lune.
Ni l'un ni l'autre ne veulent évincer le soleil,
ils veulent seulement,
aussi bien qu'ils peuvent, éclairer nos nuits.
Mais il nous sera néanmoins permis,
n'est-ce pas ? de plaisanter et
de rire à leur propos ? Un peu tout au moins ?
Et de temps en temps ?

Nietzsche, Humain trop humain, n. 169



Aujourd'hui, c'est un jour spécial pour moi. Il y a exactement sept ans, l'amour m'a terrassé. Nous nous sommes rencontrés dans un bar miteux de la rue Beaubien, en faisant du karaoké pour l'anniversaire d'une amie. Il m'avait invité à aller chanter avec lui une chanson de Dalida... C'était tellement drôle!!! Précisons que je chante comme un anus de babouin. Et qu'il a toujours aimé chanter. Duo létal. Franchement dépareillé, mais le comique en était irrésistible.

Toute notre relation fut dès cet instant-là marquée par un rapport très étroit, très étrange, et parfois insupportable, à la musique. De Parole parole à Far away (de Martha Wainwright, que j'ai écouté en boucle pour alimenter ma douleur, vers la fin des haricots), en passant par nos interminables soirées karaoké subséquentes (à mon plus grand désespoir, mais j'étais amoureux de lui), où nous vécurent des situations complètement hallucinantes dans un décor digne d'un film de Rodrigue Jean (en particulier son délicieux et délictieux Yellowknife), je crois que je n'aurais jamais pu imaginer une relation à la fois aussi longue et aussi musicale.

Nous avons réussi notre rupture. C'est devenu pour moi un ami très cher, avec lequel je désire rester à jamais en bons termes. Jamais je n'oublierai les merveilleux moments que j'ai passé avec lui. Ni les mauvais, les horribles, les ratés : ces apprentissages douloureux mais nécessaires. Pour souligner la date qui a bouleversé ma vie plus qu'aucune autre, j'ai choisi sept pièces musicales qui marquèrent diversement, entre d'innombrables autres, notre périple amoureux, cahotique et chaotique, qui s'est achevé sans tempête, sans collision, sans naufrage.

(Et je terminerai ce billet sur ce que je lui avais écrit, après l'avoir quitté...)


1 - Your song, version Moulin rouge.



C'est en me chantant à tue-tête, dans les ruelles endormies, cette jolie chanson d'amour que mon ex m'a conquis.


2 - La chanson des vieux amants, de Brel.



Nous nous imaginions vieillir ensemble. Et pourtant, dès le début, quelque chose clochait. "Il faut bien que le corps exulte..." Ce fut le pire des tourments.


3 - Le Poinçonneur des Lilas, de Gainsbourg



Le Gainsbourg jazz, jusqu'à celui de Bonnie and Clyde, fut, avec Boris Vian, un classique de nos longues heures en voiture pour monter à Québec. Le "vieux dégueulasse" demeure pour moi indissociable de l'autoroute 40, de nuit.


4 - Monopolis, de Starmania



Eh misère... Ce que j'ai pu l'entendre, cette chanson... Pour des auditions de comédies musicales, mon ex s'est égosillé sur ce refrain... Je crois que mes problèmes de santé mentale date de cette époque...


5 - Le Requiem de Mozart dirigé par Karajan



Nous étions quand même des gens de goût, et de bonne compagnie. Quand nous recevions à souper, ou quand nous faisons des folleries au chalet avec nos amis, il n'était pas rare que la merveilleuse musique de Wolfgang Amadeus (dont le film biographique magistral fut le premier que nous allâmes voir ensemble au cinéma, dans sa version remasterisée de 2002) accompagnât nos agapes. Bons vins, bonne chère, des dizaines de chandelles blanches, quelques substances hallucinogènes... et la baguette surnaturelle de Karajan pour diriger tout ça.


6 - Space oddity, de Bowie



Issu de son désir des hauteurs (que je ne partage absolument pas), il était allé faire des sauts en parachutes, dont le premier fut filmé et présenté sur cette musique, qui devint bientôt un incontournable de nos vies. J'ai toujours aimé Bowie. Et nous avons littéralement COMMUNIÉ, lui et moi, sur le film C.R.A.Z.Y., de Jean-Marc Vallée...


7 - La bande sonore signée Miles Davis du film Ascenseur pour l'échafaud



Mon actrice française préférée et un de mes jazzmen préférés. Un grand film. Que j'avais découvert grâce au Phallocrate, alors que j'avais dix-sept automnes (on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans). Mon ex aimait presque autant que moi le jazz. Alors Miles Davis a littéralement inventé certains de nos meilleurs moments d'intimité. Le nombre de fois que j'ai joui, porté vers le ciel grâce à cette musique...



Voilà. Sept ans aujourd'hui. Mais nous ne fêterons plus jamais cet anniversaire ensemble. Je ne suis pas triste. Je suis, à tous égards, pour le meilleur et pour le pire, reconnaissant.



Perplexe, à mon ex (sans rancune aucune)
Je lis ce matin ce poème de René Char, et je pense à ce que j'ai perdu, et je m'adresse ces mots, ces phrases au «tu». Je me les adresse en murmurant, comme on lit la Torah, en hochant la tête, le corps, le monde entier.

Les braises peuvent flamber, mais elles s'éteignent insensiblement, à la fin. C'était un beau brasier. Ne regrettons pas les bûches et les embûches. Tout est calme, désormais, si rien n'est calme en nous-mêmes.

Je ne regrette rien. Tout m'est contact privilégié à mes limites, à mes Terra Incognita intérieures. Et c'est bien comme ça.



«J'HABITE UNE DOULEUR


Ne laisse pas le soin de gouverner ton coeur à ces tendresses parentes de l'automne auquel elles empruntent sa placide allure et son affable agonie. L'oeil est précoce à se plisser. La souffrance connaît peu de mots. Préfère te coucher sans fardeau : tu rêveras du lendemain et ton lit te sera léger. Tu rêveras que ta maison n'a plus de vitres. Tu es impatient de t'unir au vent, au vent qui parcourt une année en une nuit. D'autres chanteront l'incorporation mélodieuse, les chairs qui ne personnifient plus que la sorcellerie du sablier. Tu condamneras la gratitude qui se répète. Plus tard, on t'identifiera à quelque géant désagrégé, seigneur de l'impossible.

Pourtant.

Tu n'as fait qu'augmenter le poids de ta nuit. Tu es retourné à la pêche aux murailles, à la canicule sans été. Tu es furieux contre ton amour au centre d'une entente qui s'affole. Songe à la maison parfaite que tu ne verras jamais monter. À quand la récolte de l'abîme? Mais tu as crevé les yeux du lion. Tu crois voir passer la beauté au-dessus des lavandes noires...

Qu'est-ce qui t'a hissé, une fois encore, un peu plus haut, sans te convaincre?

Il n'y a pas de siège pur.»

(René Char, Le Poème pulvérisé, in Fureur et mystère)


vendredi 25 juillet 2008

BAST

(Tableau de Georges de la Tour)

16.3.09

Miscellaneous 6

En terminant de visionner Vicky Cristina Barcelona de mon cher Woody (ah qu'il vieillit bien dans son art, le cochon!!!), j'ai explosé! C'est salissant de ramasser ses organes et ses fluides corporels qui coulent sur les murs, sur les meubles, mais ça valait la peine. Je suis décidément le personnage de Juan Antonio, interprété par le (je m'attendais à mieux côté sensualité, quand même, mais bon) charmant Javier Bardem. Et si je ne suis pas un peintre, je suis quand même partant pour pas mal de trucs un peu hors norme, si je peux provoquer les choses...





Mon ami l'Achigan m'a fait découvrir PLEIN de nouvelles musiques, alors je suis totalement dans ma bulle depuis quelques jours. Une belle découverte, cette Roisin Murphy (en plus, je suis fou des araignées!!! ce sont nos alliés substantiels dans l'ordre du vivant et elles sont aussi merveilleuses que cette belle rouquine) :





Bon, mon sondage sur la bibitte qui me représente le mieux n'a pas eu l'heur de soulever les foules d'enthousiasme. Qu'à cela ne tienne! Je suis apparemment le scarabée sacré, symbole de la renaissance périodique du soleil, et j'approuve :

(I am gorgeous, am I not?)





Le monde est décidément beaucoup trop petit. TOUT LE MONDE se connaît, d'une façon ou d'une autre. Je trouve ça magique. Et quelque peu terrifiant. Mais bon. Tant que je reste plus ou moins incognito... Et assez machiavélique pour tirer quelques bonnes ficelles de temps en temps pour refermer le rideau sur des scènes par trop indécentes...






"Come! Come! Come here at once!!! (As soon as I'm left alone / The devil wanders into my soul)"






J'ai envie de vous tatouer des poèmes partout sur le corps pendant votre sommeil. J'ai des envies sexuellement intenses de devenir un incube. Pour hanter vos nuits, vos rêves, vos solitudes enténébrées. Pour vous exciter et vous effrayer. Et pour sentir les coeurs accélérer. Et pour sentir les queues se dresser, et les cons se mouiller, à mon passage d'haleine tiède dans vos cous. Je veux vous tatouer des horreurs et des beautés inouïes, des obscénités, des poèmes qui parlent un langage incompréhensible, dans une langue inconnue. Voir perler le sang. Juste un peu. Juste pour le plaisir de le lécher ensuite. Laissez-moi seul avec mes aiguilles. J'ai envie d'être seul, maintenant! Et de souffler comme un grand vent géométrique sur les ruines de Bactres.





Le flot de l'amour fatal

Va donc! va-t-en dormir ailleurs; laisse-moi seul;
laisse-moi complètement ivre et rôdant de nuit tout épris,
seul cette nuit jusqu'au matin, et dans le flot de ma folie;
si tu veux bien, pardonne et viens; sinon va-t-en, tourmente-moi!
Fuis loin de moi, de manière à ne pas tomber dans l'infortune!
...
Je reste seul avec mes pleurs, blotti dans le coin du chagrin;
tu peux donc en tout endroit faire tourner la meule de mes pleurs.
...
La nuit passée, j'ai vu en songe un vieillard au quartier d'Amour;
or de la main il me fit signe de venir à lui; il me dit:
"Si sur ta route est un dragon, l'Amour est comme l'émeraude;
par l'éclair de cette émeraude, mets vite en fuite ce dragon."

(Rumi)






Il y a encore des elfes en Islande! Je le savais!!! Je VEUX y aller. (Ils en parlent dans Slate... Ça doit donc être vrai, non?)




On devrait décidément rétablir les anciens paganismes. Je suis partant pour devenir prêtre du dieu Phallus. J'ai dans ma tête des obsessions malsaines de sacrifices, de cannibalisme, d'orgies et de bacchanales...




Ouin... Je suis un peu gothique, ce soir. Désolé. Ça doit être quelque chose que j'ai mangé, que j'ai de la misère à digérer, genre.





En terminant, je suis tombé sur cette vidéo qui présente l'écrivain Marguerite Yourcenar dans son univers intime. Malgré la piètre qualité de l'entrevue, ça m'a plongé dans une belle nostalgie. Je suis beaucoup trop jeune pour l'avoir connue. J'aurais aimé, tellement aimé la rencontrer! Ce que je préfère, au delà de ses chefs-d'oeuvres, ce sont ses mains. Et son air d'aristocrate en exil (ce qu'elle est, au demeurant, dans un sens, puisque d'origine "noble", et résidant aux États-Unis). C'est la plus classique de nos quasi contemporains. Une amoureuse au sens le plus humaniste et le plus sage du terme. Une grande, grande dame.

Une des très sélects auteurs qu'il vaut la peine d'avoir dans la collection de La Pléiade, parce qu'on y revient toujours, toujours. Qu'elle vous parle du yoga, des exercices spirituels des sages stoïciens, de la vie en Flandre au 16e siècle, de Mishima, de Piranèse ou de la protection de la nature (et plus particulièrement des animaux, cause qu'elle a contribuée à médiatiser dans les années soixante-dix grâce à sa notoriété), on sent chez elle tout sauf de l'artifice ; c'est avec un langage soutenu, parfois un peu trop rigide à mon goût, mais sensible, qu'elle s'exprime pour, on le jurerait, rendre hommage, en chaque mot, à la langue française. Sa rigueur n'est plus de notre temps. Mais sa sagesse (intuitive, cultivée, spirituelle, chtonienne, solaire, naturelle), elle, reste une flamme vive dans ma vie.