21.2.09

Rumi et Shams

Rumi est un des plus grands mystiques musulmans. Son oeuvre est considéré comme un pur chef-d'oeuvre, lui qui est à l'origine de l'ordre des derviches tourneurs. Si vous avez vu le film "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran" ou lu le livre d'Éric-Emmanuel Schmitt duquel le film est tiré, on voit des derviches tourneurs y danser leur méditation amoureuse. Ils dansent leur amour de Dieu, qui réside dans leur coeur.



Rumi a vécu au 13e siècle. C'était un grand sage, dont la vie fut bouleversée par la rencontre décisive d'un saint vagabond, Shams de Tabriz. Ils vécurent ensemble dans un amour intense, démesuré, total, absolu, au point où un fils de Rumi, exaspéré et jaloux de cette relation extrême, participa à l'assassinat de Shams. La disparition de ce dernier plongea Rumi dans une profonde crise spirituelle, qui l'amena à identifier Shams (dont le nom signifie "soleil") à Dieu lui-même en tant qu'Aimé. Son oeuvre poétique raconte cet amour pour Shams qui est comparé à l'ivresse.


Qu’y puis-je, Hommes liges de Dieu? – Je ne sais rien de moi…
Je ne suis pas chrétien ni juif, pas zoroastrien ni musulman,
Je ne suis pas d’Orient ni d’Occident, pas de la terre ferme ni de la mer,
Pas plus des ramifications de la nature, non plus des sphères célestes,
Pas du sol, pas des eaux, pas des airs, pas du feu.
Je ne suis pas issu du Paradis, ni de ce monde-ci,
Ni de l’existence, ni de l’être.
Je ne suis pas originaire des Indes, ni de Chine, ni de Bulgarie, ni de Saqsin,
Ni du royaume des deux Iraq, ni du pays de Khorasan.
Je ne suis ni de ce monde, ni de l'au-delà,
Ni du paradis, ni de l’enfer.
Je ne suis pas d’Adam, ni d’Ève, ni du jardin d’Éden ni de son gardien l’ange Ridwan.
Mon lieu n’est pas un lieu, mes pas ne laissent aucune trace,
Sans corps et sans âme, je proviens de l’Âme universelle.
J’ai aboli la dualité, et vécu dans les deux mondes comme en un seul,
Un seul que je cherche, un seul que je connais, un seul que je vois, un seul que j’appelle!
Il est le premier, il est le dernier, il est le transcendant, il est l’immanent.
Au-delà de « Lui » et de « Il est » je n’en connais pas d’autre.
Je m’enivre à la coupe de l’amour, les deux mondes m’ont quitté!
Rien ne m’intéresse à part me saoûler et tomber en extase!
Si un jour, je passe un seul instant sans toi,
À partir de cet instant, je vais me repentir de ma vie entière...
Si un jour, il m’est donné d’être fin seul avec toi,
Je piétinerai ce monde-ci et l’autre, et je danserai éternellement!
Ô Shams, ô soleil de Tabriz, je suis si saoul dans cet univers-ci,
Que je n’ai rien à dire, vraiment, à part l’ivresse et le ravissement!

(traduit de l'anglais par "moé-même")


Rumi et Shams ont-ils été amants? L'Islam rejette cette interprétation, pour des raisons qui ne regardent que les imams et les croyants. On sait l'homophobie qui est ancrée solidement dans les traditions monothéistes (à ce sujet, les seuls zoroastriens sont exempts de cette infamie, car même le bouddhisme, le judaïsme orthodoxe et le catholicisme rejettent l'amour physique entre personnes de même sexe)... Mais au fond, peu importe. Car je n'ai pas l'habitude de me fier à l'opinion des prêtres et des moines, des rabbins et des imams, à propos de la sexualité... parmi tant d'autres sujets où ils outrepassent clairement leur domaine de "compétence".

J'ai envie de ressentir cette extrême tension amoureuse. Je t'appellerai "Soleil" et tu m'illumineras. Tu es si beau que ton corps ne peut être qu'un voile posé sur ton âme éclatante. Comme un papillon de nuit qui se jette avec joie sur la flamme, je suis attiré par toi, je suis irrésistiblement attiré par toi, Soleil, moi à la dérive pendant si longtemps, à la dérive dans l'espace infini où les étoiles ne brillent qu'en diagonale de nous deux... Soleil et grave gravité comme un oeil qui me fixe et m'immobilise, et dans le regard duquel je veux me voir exister à l'infini comme ces espaces qui nous séparent et nous rapprochent. Attire-moi. Tiens-moi dans tes rets. Prends-moi. Et ne me quitte plus, Soleil! Mes dérives se terminent en toi.

J'ai maintenant la preuve qu'on peut tenir un Soleil enlacé contre soi. L'intime brûlure me consume comme un rire d'avant le temps, d'avant les larmes. Et je renais de mes cendres.

3 commentaires:

  1. Si doux...le phénix "d'avant d'avant le temps, d'avant les larmes". À caresser, pour ces mille et une vies.

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  2. Merci pour ce texte !
    Bien besoin d'un 'Shams' sur le plateau, ça caillllle !!! :D

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  3. @ ninon92 : Tout le plaisir est pour moi! :)

    PS : je milite activement pour que le Plateau soit météorologiquement rattaché aux régions équatoriales, mais je n'ai pas eu de réponse du maire, encore... :D

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