7.2.09

La Terre Gaste


T.S. Eliot récitant la première partie de son magistral poème The Waste Land.


Unreal City, 60
Under the brown fog of a winter dawn,
A crowd flowed over London Bridge, so many,
I had not thought death had undone so many.
Sighs, short and infrequent, were exhaled,
And each man fixed his eyes before his feet. 65
Flowed up the hill and down King William Street,
To where Saint Mary Woolnoth kept the hours
With a dead sound on the final stroke of nine.
There I saw one I knew, and stopped him, crying 'Stetson!
'You who were with me in the ships at Mylae! 70
'That corpse you planted last year in your garden,
'Has it begun to sprout? Will it bloom this year?
'Or has the sudden frost disturbed its bed?
'Oh keep the Dog far hence, that's friend to men,
'Or with his nails he'll dig it up again! 75
'You! hypocrite lecteur!—mon semblable,—mon frère!'




Je trouve la "mode" pour le "médiéval" (et les guillemets, plus ils se multiplient quand j'écris, plus ils prennent sens) de mauvais goût. Je me souviens qu'adolescent je n'arrivais pas à être "charmé" par des "reconstitutions" qui n'avaient rien, mais alors là rien d'historique... Je n'ai jamais porté de "cotte de maille", jamais joué à des "GN", jamais voulu participer de cette mouvance pseudo-médiévale qui se condamnait au ridicule avec ses anachronismes et son absence d'humour (ce n'est pas parce qu'on rit que c'est drôle).

Mais je lisais. Je lisais beaucoup. Et j'ai voyagé. J'ai appris à distinguer ce qui était intéressant de ce qui n'était que kitsche, kétaine. Julien Gracq (oui, celui-là, celui que lit Foglia pour faire intello) m'a appris à percevoir les influences de l'art médiéval dans le romantisme, dans le symbolisme, dans le surréalisme (c'est le 19e siècle qui a "inventé" le Moyen-âge). M'a appris à me réapproprier cette influence-là, parmi d'autres. Et dans le lot, c'est le Conte du Graal de Chrétien de Troye qui me touche et me fascine le plus. C'est un roman versifié, complexe, inachevé, bizarre, qui mêle deux histoires parallèles, celle de Perceval et celle de Gauvain : un niais et un abruti. Le premier échoue lamentablement sa quête parce qu'il ignore tout des relations qu'il entretient avec les autres personnages et qu'il ne sait même pas en quoi consiste sa quête ; le second se fait sans cesse humilier, change sans arrêt d'objectif, et accumule les imbroglios en séduisant toutes les femmes qu'il croise sur sa route.

La littérature médiévale occidentale est étrange. Ce n'est ni inspirant au sens strict, ni passionnant. C'est bizarre. C'est... n'importe quoi.

Hmmmm.

Je crois que je viens de comprendre à la fois pourquoi ça me plait quand même et pourquoi je fais régulièrement référence à cet univers littéraire : parce que ma vie est aussi incompréhensible, changeante, étrange, mal construite, déroutante, "bling-bling" et ridicule que ces légendes mal digérées, mal assimilées et, pour tout dire, jamais aussi géniales que les littératures antiques ou modernes.

Il y a, comme dirait Gracq, un pathétique du roman médiéval qui entre en résonnance avec ce que je suis : la poursuite condamnée d'avance d'une quête que j'ignore, marquée par des situations confondantes, dans les dédales d'une géographie impossible... Entre les ruines et les périls, entre les pertes d'orientation et les chemins qui ne mènent nulle part, entre les Terres Gastes luxuriantes et les lieux familiers mais dévastés, tournant en rond dans un espace dilaté qui se rétrécit soudain pour mieux se recomposer sans repères anciens... "j'évolue" (au sens de se déplacer) dans un univers à la fois ancien et inconnu, en perdition et inquiétant, seul et pourtant requis un peu partout sans jamais être capable de m'attacher, d'accomplir mes promesses, de sauver qui que ce soit, ou quoi que ce soit...

Je me sens pris au piège dans la solitude errante et folle, surchargée et bavarde, incompréhensible et pourtant beau d'un monde irréel, comme le poème de T.S. Eliot.

4 commentaires:

  1. C'est beau le paradoxe. Une écriture précise, une superbe allégorie qui nous laisse croire que l'auteur est en pleine possession de ses moyens et qu'il est parfaitement lucide par rapport à sa vie, mais ce qui est bouleversant, c'est de voir que, même doté d'une immense capacité d'analyse, l'auteur ne comprend pas toujours ce qui lui arrive et il tente désespérément de contrôler son destin, sans ne jamais vraiment y parvenir. Je suis touché; superbe billet !

    Je ne suis vraiment pas très fan de la mode médiévale; c'est le bling des geeks ! :D

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  2. Je sais. Je ne comprends pas, moi non plus, ce paradoxe. Je ne l'ai jamais compris.

    J'ai tendance, comme dit mon psy, à intellectualiser ce que je vis à outrance. Ça sonne bien, mais ça relève au final d'un mécanisme de défense...

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  3. Vaut mieux s'intellectualiser à outrance que de demeurer tapi au paradis des linottes inconséquentes.

    Sans oublier ce point crucial:
    si l'auto-analyse paranoïaque n'existait pas, c'en serait fini de Woody Allen et pire encore ! c'est serait fini de Diane Keaton !
    Je ne m'en remettrais pas.

    Ceci dit, je suis un grand fan du Moyen-Âge. Bien que je n'aurais évidemment JAMAIS voulu y mettre les pieds. Il se dégage de cette sombre période de l'humanité un mysticisme indéfinissable.

    Peut-être à cause de l'étroitesse des esprits, de la claustration sociale exercée par l'église, tout ce qui se dégage de la "médiévauté" me terrifie.

    On y a inventé le glauque !

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  4. Je suis Perceval et Gauvain en même temps. Au fait Bast, quel est le titre de ce roman? Je ne suis pas fan de médiéval au dernière nouvelle, mais j'ai envie de lire entre les lignes de cette histoire.

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Faites comme chez Bast