Relire Une saison en enfer. À voix haute, sur un ton naturel, normal, avec ma propre voix, sans déclamer et sans forcer. Les mots coulent, certains ont mal vieilli, d'autres ne me concernent pas, et l'ensemble prend la forme d'une palinodie. De l'automne initial jusqu'au printemps terminal, on ne sent aucun hiver prendre le sens du titre. Rimbaud aurait vraiment dû venir s'exiler au Québec plutôt qu'en Abyssinie. C'était un génie qui manquait (outre quelques embuscades bourgeoises et certains guet-apens religieux, dont il sait tirer profit jusqu'à la substantifique moelle, jusqu'à en inventer quelques uns, jusqu'à toucher sans concession le vide de sa génération) de résistance. En 1872, dans la Province de Québec, le plaisir infernal d'échouer à être Rimbaud...
Depuis quelques jours, depuis une éternité, je suis en manque criant de sa peau. De son poil. De son sexe. Je visualise chaque moment, chaque geste, chaque caresse, chaque baiser. Un aveu : nul ne m'a aussi souvent contredit en aussi peu de temps... Sur ce que je pense, sur ce que je glisse dans une conversation, sur mes préférences, sur ce que je ne suis pas sûr de croire, sur ce que je sais. Ça fait bizarre. Ça m'empêche de ressentir l'avantage que j'ai (trop) souvent d'emblée sur quelque padawan d'un soir. C'est parfois déstabilisant (même si je tente de le cacher), parfois amusant, et toujours excitant... Ça m'excite de sentir qu'il faut que je sois plus clair, moins fibreux dans mes explications, plus consistant et moins cynique. Et je le désire à ce point de tension que j'en deviens (moment fugace mais troublant) vulnérable dans ma virilité. Comme un boxer qui se rend compte que son jeu de pied n'est pas si rapide et si éblouissant qu'il l'eut cru... Étrangement, ça le rend encore plus désirable, encore plus beau, à mes yeux qui sont déjà à cheval sur les deux mondes...
La chanson qui me rend heureux ces temps-ci... La version de Rufus est une des meilleures à mon avis.
Envie de me coller avec lui pour écouter des films, pour jaser, pour rire, pour profiter de la chance d'être jeune, en santé et bandé.
"L'ennuie n'est plus mon amour. Les rages, les débauches, la folie, dont je sais tous les élans et les désastres, - tout mon fardeau est déposé. Apprécions sans vertige l'étendue de mon innocence.
Je ne serai plus capable de demander le réconfort d'une bastonnade. Je ne me crois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père.
Je ne suis pas prisonnier de ma raison. J'ai dit : Dieu. Je veux la liberté dans le salut : comment la poursuivre? Les goûts frivoles m'ont quitté. Plus besoin de dévouement ni d'amour divin. Je ne regrette pas le siècle des coeurs sensibles. Chacun a sa raison, mépris et charité : je retiens ma place au sommet de cette angélique échelle de bon sens.
[...] La vie fleurit par le travail, vieille vérité : moi, ma vie n'est pas assez pesante, elle s'envole et flotte loin au-dessus de l'action, ce cher point du monde."
(A. R. Une saison en enfer)
René Char et Saint-John Perse ont en commun d'avoir pour puissance titulaire, pour origine, la face angélique de Rimbaud. L'un en a gardé l'appétit de l'éclair, la nature et les astres comme modèles vivants, l'autre en a hérité la chaleur des couchants, la beauté des orients diffamés, et des alexandrins qui se perdent dans une narration abyssale. Le premier a dit : Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Parce que c'est à ce coût que l'on secoue les gousses du réel pléthorique. Le second a déclamé : Éloges au prince, à sa montée vers les cieux toujours aussi clairs et baroques de la Poésie, ce monde plus beau qu'une peau de bélier peinte en rouge.
Hommage à l'ancêtre, le toujours-jeune aïeul, et à ses diadoques, et à son ultime épigone : moi.
Moi : une soupe de gènes barbares que mes parents n'eurent pas conscience de me léguer, et des sens qui me permettent de m'imbiber de vous.
Vous : chacun, multiplié indéfiniment par les relations qui donnent forme au monde et à sa bassement creuse et sublime matérialité. (Le monde est une cybernétique à la limite de la fantaisie, de l'illusoire. Une mappemonde qui se réinvente à chaque coup de feu.)
Elle est retrouvée!
Quoi? l'éternité.
C'est la mer mêlée
Au soleil.
Mon âme éternelle.
Observe ton voeu
Malgré la nuit seule
Et le jour en feu.
Donc tu te dégages
Des humains suffrages,
Des communs élans!
Tu voles selon...
- Jamais l'espérance.
Pas d'orietur.
Science et patience,
Le supplice est sûr.
Plus de lendemain,
Braises de satin,
Votre ardeur
Est le devoir.
Elle est retrouvée!
- Quoi? - l'Éternité
C'est la mer mêlée
Au soleil.
(A. R. Une saison en enfer)
Ma vie est un film de Bergman. (J'existe dans un univers sans consistance ontologique, quelque part dans les limbes de la nordicité et des fjörds glacés sur lesquels glissent en silence des barques mortuaires de guerriers sans visage, vaincus par des déesses armées d'airain et de lieds mortels.)
Une lectrice des plus aimables me fait remarquer qu'il y a un vlogue où Jacques Languirand me relègue à jamais dans la ténèbre de ma vanité... :) Ici : http://www.repere.tv/
RépondreSupprimerTon blog est vraiment beau et tu écris très bien. Point.
RépondreSupprimerMerci! :)
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