8.2.09

Une vocation à l'anéantissement



C'est ainsi que Gustave Thibon décrit la philosophe mystique humaniste chrétienne de naissance juive Simone Weil. Morte en 1943. Emportée par la tuberculose, la malnutrition volontaire et la solidarité avec les victimes de la Seconde Boucherie mondiale.


J'ai toujours été attiré par les femmes qui, pour une raison ou une autre, bouleversent totalement les repères de leur époque. Simone Weil, surdouée immense, en est une. J'aimerais un jour écrire un livre sur ces femmes. Mais j'ai pas encore de concept valable, outre mon admiration sans borne (mais parfois critique).


Je vous parle de Simone Weil parce que je pense régulièrement à sa description si tragique : "Une vocation à l'anéantissement". On appelle ça un destin. Un cruel destin. Mais aussi une force de frappe et un projet. Bref. Quelle est la part de misérabilisme autoproclamé, quelle est la part de réalité objective? Peut-on être condamné d'avance à échouer? À être anéanti?


Et pourtant c'est ce que plusieurs religions invitent leurs fidèles à rechercher : la moqça hindoue, le nirvana bouddhiste, voire la sainteté taoïste... C'est un concept qui va au-delà de la simple mort physique, de la simple disparition. Ça indique une perte de l'identité dans autre chose, jugé davantage réel que l'individualité ou le monde physique.


Ça peut aussi vouloir dire : prendre conscience de la vacuité fondamentale. Comme lorsque Descartes remet tout en question, fait table rase de toute certitude, et ne réussit à sauver, au final, l'existence de Dieu, du monde et des sciences empiriques que par une espèce de pirouette mentale : si je pense, c'est donc que j'existe. Mais sous quel mode? Car au fond, on peut aussi, comme les philosophes analytiques anglo-saxons prétendent, s'imaginer "inventé" par un ordinateur assez puissant pour recréer un semblant d'égo, de "cogito"...


Mais à cela je préfère encore la jolie formulation de Zhuangzi, écrivain taoïste de l'Antiquité, qui disait qu'en rêve il se croyait papillon, et qu'à son réveil, il ne savait plus s'il n'était pas, peut-être, un papillon qui rêvait à Zhuangzi...



Tout ça pour dire qu'on s'imagine (à tort) que nous allons toujours invariablement suivre, d'une façon ou d'une autre, un parcours relativement normal. Que les choses vont "se replacer". Que l'on va trouver l'amour conjugal, que l'on va se trouver un travail qui, à défaut d'être intéressant, sera payant ou, à défaut d'être payant, sera notre alibi pour vivre. Et que nous finirons par avoir vécu bien gentiment.


Je ne sais pas. J'ai comme un doute que ce ne sera jamais mon cas. La "drop" sociale est possible, comme dans les romans de Paul Auster. Et les événements extraordinaires aussi peuvent venir fausser la donne. Comme dans la vie de Simone Weil, dont c'est le centième anniversaire de naissance cette année.


Quant à moi, je me serais préféré félin d'espèce, plutôt qu'humain ou papillon.



Mais ce qui distingue la pensée philosophique occidentale de l'extrême-orientale, c'est l'humour. En Occident, pas beaucoup d'humour... On est très dramatique. Les médias aussi se font les dignes épigones du théâtre tragique de la Grèce antique. En Chine, au Japon, j'apprécie cet humour qui relativise la tragique conscience de notre vanité. L'humour de Zhuangzi contre la martyrisation de Simone Weil? Peut-être... Mais entre les deux mon coeur balance...


Je n'ai pas l'impression de profiter assez de la vie. Je ne ris pas assez. Je ne baise pas assez. Je ne sors pas assez. Mais est-ce vraiment étonnant quand on se sent voué à l'anéantissement?


Basta! n'est pas le titre de mon blogue pour rien. Basta! moi. Et m'immiscer dans la vie d'autrui par la petite porte anonyme du néant.



2 commentaires:

  1. "Je ne sais pas. J'ai comme un doute que ce ne sera jamais mon cas. La "drop" sociale est possible, comme dans les romans de Paul Auster."

    En effet, j'ai souvent pensé à ça. Si ça n'est jamais arrivé, c'est statistiquement possible que ça n'arrive jamais... Je suis plus drôle dans la vraie vie. :D Je ne suis pas prêt (pas encore du moins) à affirmer que je sois voué à l'anéantissement et honnêtement, ça me surprendrait beaucoup que tu le sois. Tu brilles trop pour sombrer.

    "Et m'immiscer dans la vie d'autrui par la petite porte anonyme du néant."

    N'est-ce pas la plus belle façon de s'immiscer dans la vie de quelqu'un. Si seulement ça pouvait arriver plus souvent. En fait, je n'ai pas besoin que ça m'arrive plus d'une fois.

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  2. Même les étoiles finissent par sombrer...


    Ce n'est même pas grave. Je ne suis pas en train de me plaindre. Je constate. Je réfléchis. Et je me demande comment concilier tout ça.


    Moi aussi, je crois que je suis much more comical dans la vraie vie... quoique... d'un humour peut-être un peu spécial...

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