11.10.09

Le plus beau des poèmes



Le plus beau des poèmes est celui dont les signes renvoient, ambivalence des signes en eux-mêmes et entre eux et partout autour du poème, à l'infini de l'amour que le lecteur y trouve. Le plus beau des poèmes, ou le plus vrai, consiste en ceci qu'il parle pour chacun, en chacun, au nom de tous à chacun, au nom de chacun à tout le monde, et qu'il ne parle que pour soi sans jamais oublier sa visée universelle d'embrassement ou d'embrasement ; feu et baiser, incendie des lèvres amoureuses qui vibrent au son du poème qui s'allume dans la voix, dans le regard, dans les mains, dans les sexes. Le poème vibration est une onde de choc qui place chaque geste dans un non-contexte parfait, dans un non-lieu toujours situé en deçà des idées, toujours ici, à jamais maintenant, arraisonné sur un coup de glotte qui le renvoie à son inexistence totale de pur amour, de pure énergie. C'est le vertige sonore de la conquête du sens sur le chaos du bruit, et c'est le silence flagrant, fulgurent, et comme démultiplié dans sa chair vive de mots estropiés pour toucher à travers un vide vibrant, sans bruit, sans bruit, le coeur excellent de la réalité la plus haute, la plus belle.

Je suis fier de chaque personne qui réussit à se lire, à se découvrir dans un vers, dans une strophe, dans un mot, dans un silence. Et au plus près de soi, dans l'éloignement absolu de soi, quant à soi qui n'est pas plus qu'une caresse durant la nuit, un dévoilement, un retour sur origine ou dans la brunante du sensé, perdre soudain contact avec le ronronnement du quotidien pour se sentir moins seul à vivre et à mourir -- ces termes d'un contrat trop vaste, qui tourne court, et qui court à perdre haleine.

Éloge de vous, ô tels que vous êtes, soyez toujours, et aimez-moi si vous m'aimez, car je serai mieux demain, je serai plus grand demain.




ENVOÛTEMENT À LA RENARDIÈRE

Vous qui m'avez connu, grenade dissidente, point du jour déployant le plaisir comme exemple, votre visage, -- tel est-il, qu'il soit toujours, -- si libre qu'à son contact le cerne infini de l'air se plissait, s'entr'ouvrant à ma rencontre, me vêtait des beaux quartiers de votre imagination. Je demeurais là, entièrement inconnu de moi-même, dans votre moulin à soleil, exultant à la succession des richesses d'un coeur qui avait rompu son étau. Sur notre plaisir s'allongeait l'influente douceur de la grande roue consumable du mouvement, au terme de ses classes.

À ce visage, -- personne ne l'aperçut jamais, -- simplifier la beauté n'apparaissait pas comme une atroce économie. Nous étions exacts dans l'exceptionnel qui seul sait se soustraire au caractère alternatif du mystère de vivre.

Dès lors que les routes de la mémoire se sont couvertes de la lèpre infaillible des monstres, je trouve refuge dans une innocence où l'homme qui rêve ne peut vieillir. Mais ai-je qualité pour m'imposer de vous survivre, moi qui dans ce Chant de Vous me considère comme le plus éloigné de mes sosies?


René Char (Fureur et Mystère)




Le plus beau des poèmes, c'est celui où l'auteur n'est autre que l'amour comme envoûtement, et qui parle de Vous quand je parle pour moi. Je ne connais d'autre moment plus envoûtant que celui-ci, où, dans le crépuscule des amours décevants, ma route est un vent, les corps vieillis crachant sur les images les plus bêtement stylisées du songe érotico-létal, pour que nos sourires témoignent de notre entendement, et nos yeux se trouvent enfin,et se parlent enfin ; rencontre vitale parmi les non-rencontres virtuelles assemblées sur les cartes du Voyant.



Mes ans sont ceux qui me restent. Merci pour café, le gîte et le couvert. Éloge de Votre amour.


Je suis né le 11 octobre, il y a quarante mille ans. Mais je nais à chaque fois que nous récitons en silence le plus beau des poèmes pour nous réconforter, ensemble.


Bast



4 commentaires:

  1. Je ne peux que dire combien je partage tes mots, ta vision de la poésie, des mots tout court. Ceux que l'ont dit, que l'on crie, et surtout, que l'on écrit...

    Superbe billet, merci!
    -xxx-

    RépondreSupprimer
  2. Vous me tuez...

    Maître, Bastaimé, pour vous, je suis repenti d'avance de mon inconstance, moi qui voudrait vous être éternellement lumineux et cher. Je subis les torts/torsions d'une vie houleuse, comme la vôtre, je le sais bien.

    Pour ces mots parfaits que vous venez d'écrire, je vous offre encore une fois mon coeur fragile. Mon esprit pleureur vous donne les droits sur ma vie, vous prie de vous mêler de moi encore, toujours plus, parce que tout cela ne se lie jamais assez.

    Telle une redevance due aux êtres nés il y a plus de mille ans, je vous salue bien bas en courbant l'échine, boa déférent, vous serre sans force comme pour englober, et suis les traces visibles que vous laissez sur le terrain vague de mes rêves...

    Amour, vous me foudroyez,

    L'Achigan

    RépondreSupprimer
  3. @ âme tourmentée : merci!!!

    @ l'achigan : toé j'te retiens, mon sacripant. pfffft.
    (ton commentaire est tellement exaltant et beau et caressant que je me surprends à roucouler intellectuellement comme ma digne épouse le ferait devant Taylor Kitsch en torse.)
    pis tu le sais, en plus, que je suis incapable de résister aux circonvolutions magiques de ton cerveau! dans mes bras, mon ami!

    RépondreSupprimer

Faites comme chez Bast