26.7.09

INVERSION (Quatre poèmes de Constantin Cavafy en négatif)


Cocteau?



LA VILLE


Ce poème de Cavafy (il fait référence à Alexandrie d'Égypte, où il vécut et où il mourut, lui le fils de la diaspora grecque) me rappelle ma propre espérance lorsque je me voyais aller habiter sur le Plateau Mont-Royal : adolescent, je m'y projetais, je m'y voyais déjà, et je ne pouvais que m'y imaginer dominer une scène culturelle de laquelle je ne connaissais que les livres de Michel Tremblay et les articles de Jean Barbe - c'est-à-dire pas grand-chose. Mon nomadisme urbain m'y a mené, mais m'en a aussi fait partir pour d'autres mondes, d'autres continents (réels ou imaginaires). Or, toujours, je garde l'impression létale que je n'ai fait qu'embrasser passionnément les lèvres glaciales d'un cadavre... (le mien?)

(La ville de tous mes espoirs sera mon tombeau, en toutes ses dimensions que je perçois au-delà du fronton défraîchi du réel. Mon doux sépulcre urbain... Terre promise et dernier repos de mes grandes espérances.)



Tarot fatal



REVIENS ET PRENDS-MOI


Troublant et touchant appel de Cavafy : "Reviens souvent et prends-moi, sensation bien-aimée"... Le vieux fonctionnaire alexandrin aux lunettes si caractéristiques avait le don de faire de ses poèmes des perles : secrètes, lentement sécrétées dans la dureté de la mémoire cruelle, façonnées et collectionnées comme autant de joyaux très-purs, et très-précieux. Perles infâmes, souvenirs nacrés, que ces corps jeunes et virils.... et que la main parcheminée du vieillard ne fait plus que miroiter très doucement dans un crépuscule enflammé de tous les ors du ciel.



Mishima?



UNE NUIT


Voilà ma chambre très sobrement meublée de livres, de quelques milliers de livres, d'un tapis faussement persan, d'un fauteuil style Régence, d'armoires et de commodes de bois sombre, d'un lit très très grand, aux draps habituellement blancs. Elle est pauvre, mais est-elle vulgaire? plébéienne? Pourtant, en lisant le poème de Cavafy, je me sens interpelé jusqu'au fond de mes tripes.

Assis à ma table ce midi, lisant Le Devoir sur mon portable, la radio syntonisée sur ma sempiternelle Première Chaîne, le bol de café au lait à peine édulcoré d'un peu de sirop d'orgeat, les cigarettes s'empilant les unes sur les autres (comme nos amants rapidement consommés) dans le cendrier ancien, je me sens soudainement chargé d'ans. Je me lève et marche vers la fenêtre : dehors, on voit la ruelle étroite et sale...






LEUR ORIGINE


Certains parmi nous avons encore, parfois, la nostalgie de cette époque héroïque (pour nous ; pour les autres, les normaux, c'était l'époque où nous n'étions que des ombres perverses dans les ruelles et les bosquets, méprisables au possible, les invertis) où, à défaut d'espoir, nous avions des excitations sexuelles que les autres, les normaux, ne pouvaient ni atteindre, ni comprendre. Et des oeuvres à écrire pour effrayer et ridiculiser la bourgeoisie à gibus.

(Que sont les Wilde, les Gide, les Mann, les Genet devenus?La libéralisation des lois, des moeurs, des sociétés, des médias les ont relégués dans le même passé épique, mais oublié, que ce bon vieux Cavafy lui-même.)







L'ÉPIPHANIE


Julien l'Apostat fut un empereur romain éduqué dans le christianisme flambant neuf de la non moins neuve capitale orientale, Constantinople. Il apostasia pour rétablir, ultime flambée païenne dans un monde en pleine transformation, les anciens rites traditionnels polythéistes. Sa tentative fut un échec. Il n'avait pas compris que la religion nouvelle avait déjà pris la place qui allait être la sienne jusqu'à ce qu'un autre monothéisme vienne lui faire concurrence sur le front de l'Est, jusqu'à la fin des temps, peut-être.

Par ces digressions historiques, Cavafy ne fait que vivre littéralement dans la durée totale de l'hellénisme. Du glorieux port d'Alexandrie où accosta Marc Antoine jusqu'à la vieille ville égyptienne où Cavafy faisait ses délices de fugaces moments d'intimité sexuelle avec des garçons de passage (combien de marins? combien de descendants, ignorant tout de ces époques lointaines que n'ignoraient pas le poète, des savants hellénistiques qui se brûlaient les yeux à la célèbre Bibliothèque, sur de vieux parchemins comme je me brûle les yeux sur les sites porno?) , il n'y a que des brouillards qui se peuvent dissiper, fantomatiques, à qui sait voir en poète.





Note à moi-même : j'ai décidément gâché ma vie à plus d'un titre. J'aurais dû, j'aurais voulu être ou bien un grand mystique, ou bien un acteur porno. Idéalement, les deux.

2 commentaires:

Faites comme chez Bast