À la fois pénétré par la musique de Marin Marais et par un phallus ami de très bonne taille, je pense à ma vie, et j'étire la main pour tirer un peu sur la cigarette agonisante dans le cendrier près de nous, sur la table de cuisine. Je reviens de travailler ; mon premier emploi de la journée, entre 5h15 et 11h15 du matin. (Et le soleil n'est point nommé, mais sa puissance est parmi nous.) Je devrais déjà me préparer à partir pour mon second emploi, qui débute vers 13h30 pour ne se terminer que tard en soirée. (Plus tard, cet après-midi, j'apprendrai qu'un de mes oncles est à l'agonie, aux soins palliatifs, et qu'une de mes cousines, enceintes jusqu'aux dents, a perdu ses eaux ce matin.)
Sur ma langue où s'étirent des gémissements félins, spontanés, je goûte avec étonnement la saveur biscornue du sexe et du café entremêlés, sorte de nec plus ultra aromatique, aux arabesques charnus des broderies classiques, aux formes végétales, qui ornent mon fauteuil ancien acheté probablement trois fois trop cher chez un antiquaire. Quand le plaisir me soulève de terre, évidemment, je ne pense plus à rien! Mais pourquoi la jouissance, la jouissance la plus immédiate, la plus émue, la plus douce ne serait pas une pensée? (Une pensée sans support de mots. Une pensée ronde. D'avant toute parole, et surtout la Bonne.) Une pensée complexe, mais antélinguistique, mais antédiluvienne, mais antéchristique?
À rebrousse-poil de la morale, qui se hérisse sottement de mes incartades récentes aux extrémités de l'Empire d'Orsenna, à l'orée du Farghestan de la sublime débauche, je passe ma main sur des fesses amies, les miennes, les siennes, des fesses qui se connaissent, qui ne se connaissent qu'au sens biblique du terme, et encore, et je suggère : « Plus fort. » Fortius, fortius, fortius. On pourrait croire, hélas, que ce cri olympien ne concerne que la beauté du geste, mais en fait, je constate, dans la droite ligne de ce qui précède, que non, vraiment, c'est à la vie, à la VIE, que je râle cette injonction latine : Fortius.
Fortius. Parce que c'est BON.
Comme Molly Bloom, et je suis vraiment, en cet instant de grâce païenne, devenu Molly Bloom, pour l'éternité comme dans un livre, je ne terminerai jamais ma phrase, je resterai jouissant et en pro-jection, en lancement, en rebond sur la superficie des choses, toujours rebondissant à la paupière si fine de la vérité, oui, je resterai aveuglé par un éclat de lumière ou de fumée, par un éclat de foutre ou de musique, et je resterai empalé, oui, empalé sur la vie comme un fuckin personnage joycien, empalé sur le quotidien que je ne renie pas même si c'est souvent une géhenne, une apoplexie, ce quotidien qui ronfle, qui vrombit, qui vomit sinistrement, qui m'étire des poches sous les yeux plissés de plaisir, oui, empalé par le goût intense du sperme et du café et de la mort dans ma bouche, sur mes lèvres rugueuses, sur mes dents, oui, sur mes dents, mes dents de silex qui crissent les unes sur les autres en envoyant des étincelles partout autour de moi dans la cuisine, des étincelles de plus en plus vives, de plus en plus blanches, de plus en plus chaudes, dans la cuisine bachique qui prendra feu sous la pluie de flammèches que mes dents préhistoriques craquent en jouissant, et oui, oui, je ne renie rien, ni mes heures de travail immondes, ni ma stérilité sociale, ni mes défectueuses preuves d'amour, ni mes débauches, ni mes amours, ni mes illusions, je ne renierai pas ma petitesse parmi vous, une saison encore parmi vous, étranger, étranger, parmi vous et pourtant, oui, comme vous, par vous, jouissant criant vivant vivant vivant OUI
Paysage avec Orion aveugle cherchant le Soleil (1658) Poussin
Je suis impressionnée, du Grand Bast avec un Grand «G»... Non pas un bel ensemble, mais un Tout Magique comme je les aime.
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