Il est 20h.
Je suis sorti m'acheter de la malbouffe vers 17h. Me suis installé devant la télé pour visionner des Tout sur moi. Ai rigolé.
Éteindre télé. Chat collé sur moi, ronronnant. Je pète. Tout le monde pète. Mais là, ce pet-là, c'était comme d'avoir des flatulences au mauvais endroit, au mauvais moment, en public, chez le docteur, lors d'une première "date". C'était gênant, humiliant.
Vendredi soir. Il est 20h.
Okay. Ça ne marche pas, ça. J'ai comme (désolé, le jeu de mot poche ne cesse de me hanter, il faut que ça sorte :) pété ma bulle.
Perdre sa libido, ne plus avoir envie de sortir, de voir du monde et de prendre soin de soi, me semble que ce n'est pas particulièrement bon signe, ça... Attendre d'écrire un chef d'oeuvre primé, de se faire engager à La Presse comme chroniqueur et perdre un temps fou à fixer la vaisselle en train de sécher sur le séchoir à vaisselle, NON PLUS.
Ma prise de conscience est dialectique : je suis dans une impasse ; or, AVANT (et c'est là où le bât blesse, car je ne sais plus trop à quel "avant" faire référence : quand j'étais flo? quand j'étais ado? quand j'avais 20 ans?) ce n'était pas comme ça que je m'imaginais à quelques années de la trentaine (ce Charybde ; Scylla étant les substances toxiques, qui toujours, me trahiront, car les dépendances sont inscrites dans mon hérédité), avant j'avais envie de baiser sans arrêt, j'avais envie de sortir, je buvais des bombay dry martini straight up twist dans des soirées, j'avais même des ambitions assez hallucinantes... Et... Où est la synthèse? Quelle synthèse jaillira de ces thèse et antithèse létales : le présent, le passé?
Être à l'écoute de ses organes, soit. Passer ses journées à être à l'écoute de ses organes... moyen. Réaliser un vendredi soir que c'est moche, ma vie... décrissant!
Je ne pète pas des yeules, je ne pète pas des scores, je ne pète pas plus haut que le trou. Wow. Et je suis supposé trouver que ça vaut la peine???
Quelle déchéance...
J'ai mal au ventre et je sais pertinemment que je ne sortirai pas ce soir. De toute façon, je n'en ai aucune envie. Je vais m'installer pour lire dans mon lit.
L'autre soir, j'ai eu envie de relire mes (déjà) vieux livres sur la pensée chinoise antique, reliques de mes études en philosophie. Je suis tombé sur des trucs passionnants qui m'avaient échappés. Derechef, je m'intéresse à la Chine impériale, et j'y trouve tout plein de sujets d'intérêts, de potentielles nouvelles littéraires, des sujets de réflexion profonds, des images très-belles, des histoires qui pourraient m'inspirer quelque chose... MAIS QUOI? Quelle vanité de croire que je puisse travailler là-dessus, alors que je ne suis même pas capable de sortir mon bac de recyclage à temps pour la cueillette (tout sauf ponctuelle et efficace, welcome in the Plateau).
Si je fais une analyse de ma vie, je m'effondre dans les bancs de neige boueux de mon passé. Si je tente d'en faire abstraction, de mettre mes raquettes ou de sortir la souffleuse, c'est ma propre force d'inertie qui me replonge dans la gadoue du présent intolérable. Bravo champion. Va essayer de faire la morale aux autres, de draguer quelqu'un ou de promettre quoi que ce soit, après... Ma culpabilité me nargue.
J'attendais quelque chose de ce blogue. Un sens à donner à ma vie. Une façon d'exploiter à mon rythme, de manière éclectique, l'écriture, mes connaissances, de partager des moments "youtube", de m'inscrire sur le web et d'exister, quelque part. Clairement, je ne suis ni assez geek, ni assez créatif pour ressentir de satisfaction à ça. Je voudrais maîtriser des moyens d'expression différents. Nouveaux. Participer à quelque chose de collectif. Mais voilà. J'ai l'impression d'apprendre à conduire dans le stationnement d'une aire de repos sur le bord de la 40. En regardant les chars des autres prendre de la vitesse, me dépasser, disparaître à l'horizon.
Avec mon ex nous allions souvent à Québec. Je connais bien les autoroutes. Je déteste conduire, je conduis mal et je ne sais pas comment gérer la peur qui me consume, la peur des vroom-vroom, des accidents, des carambolages, des dépassements par la droite, des sorties de route. Mon ex a été patient, puis indifférent, et finalement, lui-même n'avait plus de voiture. C'est une métaphore de notre couple : j'essayais de le suivre, je voulais faire l'amour, il ne voulait pas souvent, j'essayais de conduire, il a fini par revendre sa picouille, et dans le vide intersidéral de ma vie actuelle, je me rends compte que même ça, ce que nous vivions, ce n'était pas ÇA. Ce n'était pas ce que je voulais.
J'ai laissé mon ex en voulant rester ami avec lui : c'est la seule chose que nous ayons vraiment réussi. Il a maintenant un nouveau copain. Moi je suis revenu dans son ancien appartement de quand je l'ai connu. Retour à la case départ. Ou plutôt : hors jeu. Hors jeu sous mes amoncellements de livres. Hors jeu sous mes couvertures à manger du McDo en écoutant Tout sur moi un vendredi soir. Hors jeu sans savoir ce que sera le prochain jeu. La prochaine vie qui me sera accordée. Quand un instrument est accordé, il joue juste. Mais moi, je joue faux en attendant de me trouver un ensemble avec lequel mon instrument entrera enfin en harmonie.
Subrepticement, la dernière métaphore rejoint ce que je disais précédemment sur la philosophie chinoise antique. Par exemple, Confucius ( ) affirmait :
"Un homme s'éveille à la lecture des Odes [recueil poétique classique], s'affirme par la pratique du rituel, et s'accomplit dans l'harmonie de la musique."
Il voulait que l'harmonisation apportée à toute la société se fasse par la pratique des rites et de la musique, que vise l'accomplissement de l'homme de bien, le junzi ( ):
"Les rites, les rites! Ne tiennent-ils qu'au brillant de la jade et de la soie? La musique, la musique! Ne tient-elle qu'au bruit des cloches et des tambours?"C'est pourquoi, selon Kongzi, la première chose à faire est de rectifier les "noms" (les mots). Dernière citation, promis (pour ceux que ça ennuie) :
"Si les noms sont incorrects, on ne peut tenir de discours cohérent. Si le langage est incohérent, les affaires ne peuvent se régler. Si les affaires sont laissées en plan, les rites et la musique ne peuvent s'épanouir."
Ce soir, je tente de rectifier les noms. Je tente de faire BASTA! des discours incohérents, des faux-semblants, des lieux communs, des légèretés cent fois réitérées pour me donner bonne conscience. Je tente de redresser les mots pour qu'ils disent quelque chose : d'un pet à Confucius, c'est toute ma vie qui cherche son sens, son épanouissement.
C'est cela qui se passe. C'est cela et c'est tout. La Chine impériale est un amas de ruines. Ma vie est un amas vivant d'organes plus ou moins en bonne santé. Le Ciel au-dessus de nos têtes est le même que celui de Kongzi, le même que le mien. Il n'a pas changé en deux mille cinq cents ans. Et parmi les Dix mille êtres, les Cent familles, à l'intérieur des Quatre mers et des cinq Orients, je reste immobile, immobile depuis déjà quelques temps, pour encore quelques temps, en pleine inaction, en réfléchissant à ma voie... à mon Dao 道 que je ne trouve pas. Pas encore.