Je suis trop fatigué pour écrire.
J'ai les yeux qui chauffent, qui partent dans le vide, qui sautent comme des genoux de petite grosse nerveuse lisant son Twilight. J'ai les yeux d'un pothead. Mais j'ai surtout les doigts qui me démangent d'écrire. Seulement... je suis trop las pour être vraiment là.
Durant ma pause, lecture de blogues, trop longtemps délaissés, et soudain, le choc, l'émoi, le trouble s'empare de moi. Il faut que j'écrive. Il le faut. Que j'écrive. Il faut le dire, il faut tout dire, il faut. Écrire.
-- Pourquoi donc? Alors que les arts suscitent rarement l'émulation du plus grand nombre de ses publics, l'écriture a cet effet étrange, souvent dénoncé, de stimuler la volonté d'écrire. «Il y a trop d'auteurs.» «Tout le monde veut écrire...» Cioran se faisait cette remarque irritée, étonnament irritée : comme si la simple maîtrise, même adroite, d'une langue, faisait de tout un chacun un Écrivain en puissance! comme si tout le monde avait quelque chose à dire... comme si la plupart des individus sur cette fucking Terre n'était pas puissamment et fondamentalement médiocre...
Et nos amis, aussi béotiens que nous, ou encore plus, sont délicieusement tentateurs à ce sujet : «Tu devrais écrire!» «Tu as déjà pensé te faire publier?» Ça flatte l'ego, ça nous donne, à peu de frais, l'impression de faire partie des Artistes, de ces êtres profonds, intelligents, émotionnellement riches et peut-être, aussi, dignes de passer à la postérité.
Postérité : mécanisme automatique de reconnaissance du génie. Très efficace, d'ailleurs, puisque les vrais génies sont souvent ignorés de leurs contemporains.
Contemporains : les vrais ennemis de l'art. D'ailleurs, l'art le moins «artistique», c'est-à-dire l'art qui n'en est pas un mais qui alimente le ténébreux «marché de l'art» ou la non moins calamiteuse «industrie du livre» (avec leur référence directe au capitalisme qui, comme chacun sait, est tout sauf «arts friendly»), s'appelle toujours contemporain. Ce n'est pas pour rien!
Rien : fondement ontologique de la blogosphère. On y écrit de «petits riens» ; ceux qui ne sont rien peuvent y trouver leur quinze minutes de gloire -- si Patrick Lagacé daigne les ploguer (et il est mieux de le faire, parce que sinon c'est vraiment un pisse-copie, un snob! du Québec entier le pire des journalistes!).
Journalistes : fumistes qui s'alimentent discrètement aux blogues de gens plus libres qu'eux pour alimenter leurs journaux qui alimentent la caisse des gros empires médiatiques qui alimentent les théories de complot.
Je n'arrive pas à mettre le doigt sur ce qui me fatigue là-dedans, parce que je suis trop fatigué. Mais ce que j'ai BESOIN de dire, d'écrire, c'est ceci : il n'y a pas trop de blogues, il n'y a pas trop d'auteurs, il n'y a pas trop de points de vue, de perspectives, de discursivités contradictoires, de manières de penser, de publications.
Ceux qui cherchent à limiter l'accès à la liberté de penser, de s'exprimer, d'écrire, de publier, sont frères des aristocrates de jadis. Ils n'ont pas le sang d'une autre couleur : c'est leur lubie fascisante, c'est leur folie des grandeurs, et qu'on n'est pas obligé de partager à partir du simple critère subjectif de l'impression. «J'ai l'impression qu'il y a trop d'auteurs» semble être l'écho de «Pour diriger un pays, ça prend un homme fort, un meneur d'hommes!» : give us a break for God sake!
J'aime la monarchie britannique parce que la reine y est une relique du passé, comme un vieux livre, ou plutôt, comme une vieille bibliothèque : la bibliothèque ne décide pas de ce qu'il y a dans les livres qu'elle contient ; elle sert de forme visible (les Livres, les rayons, les éboulements, les enfers) à ce qui est invisible (la Littérature). La reine n'empêche pas la démocratie, au contraire son rôle est précisément de servir de fondement historique au parlementarisme. C'est une vieille dame qui arrive au moment voulu, s'assoit dans un grand fauteuil magnifique, et nous lit des histoires avant que les parlementaires ne nous endorment. Elle tient un grand livre dans ses mains parcheminées, elle est une grand-maman qui serait aussi une fée-marraine, et elle ne décide pas de ce qu'elle nous lit. C'est nous qui décidons cela. C'est nous qui avons voté pour ce qu'elle va lire...
La littérature (au sens le plus large... les Lettres additionnées des Inscriptions et des Archives nationales et des Graffiti et des Bouts de Papier qui Ont Servi à Noter La Liste d'Épicerie Hier), y compris les blogues, doit fonctionner comme une monarchie constitutionnelle, pas comme une dictature. Je veux qu'une grand-maman très-gentille, le soir, me fasse la lecture de ce que j'ai envie d'entendre. Pas de ce que tel ou tel critique littéraire, de tel ou tel gourou médiatisé ou underground ou hipster ou universitaire, aurait décidé pour mon bien.
Que les blogues pullulent ! que les livres s'impriment par milliards et par billions de copies ! que les internets débordent ! que les mémés et les bébés, que les tarés et les autres se mettent à écrire, non pas seulement pour leur plaisir personnel, mais pour que leurs écrits soient accessibles, disponibles. Tout le monde n'est pas disposé ni intéressé à tout lire. Il y a pluralité de lectorat. Comme il y a pluralité de sources de lecture. Il y a pluralité de niveaux d'interprétation, de grilles d'analyse, de critiques possibles, de sources d'inspiration pour réfléchir en solitaire ou en groupe comme il y a pluralité de formes d'écrit.
Le vrai Livre au sens mallarméen, c'est ceci : non pas l'oeuvre d'un seul auteur bien défini (trademark; prix de ceci et docteur de cela, etc) lue par des multitudes anonymes (voire : analphabètes, pour ne pas qu'elles puissent se mettre à écrire des fadaises contemporainement au Génie goethéen, ce monomaniaque qui est, seul, digne d'être lu) ; c'est l'oeuvre éparpillée de milliards d'auteurs anonymes, lue, c'est-à-dire déchiffrée, analysée, recomposée, réécrite, par «moi» en tant que Lecteur (Ecce lecteur ; le seul possible). La pluralité d'auteurs, et l'effacement de la notion d'auteur permettent la plus grande richesse de l'oeuvre, du Livre.
Si vous suivez mon doigt, vous voyez donc que je pointe vers ceci : peu importe la valeur de tel ou tel blogue, de tel ou tel billet, peu importe s'il y a des gens méchants qui n'aiment pas ce que tu écris pourtant avec toutte ton coeur ; tout est potentiellement lu. Et ce faisant, tout, toute cette masse quasi informe de textes qui composent la texture du monde virtuel de la signification, participe à cet effort civilisationnel, esthétique, héroïque qu'est la Culture.
Alors ne pleurons pas la disparition d'une plume, aussi belle fût-elle ; sachons aujourd'hui saluer la beauté pour ce qu'elle est : dispersion.
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Dispersion qui implique, souvent, et c'est correct, disputes, oppositions, discussions, répulsions, horreurs orthographiques et erreurs logiques. Dispersion des signes malgré le pli, ce pli normatif, identitaire, que fait l'homme dans le monde.
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Je... bah, j'abandonne. Pour l'instant, je préfère lire. Ceux qui sont dans ma liste de «bastailleurs en même temps». Et je dois aussi aller me coucher... Je ne sais même plus ce que j'écris...
hola!!
RépondreSupprimerbuen blog ...
saludos!
Bye Bye!
Gracias
RépondreSupprimerPour commenter la mort de cette plume irrévérencieuse dont je ne connais hélas pas la saveur, je m'avouerai tout de même non pas une peine, mais plutôt un certain sentiment de désolation. Tout comme j'ai un respect pour l'oeuvre écrite, j'en ai aussi pour ses auteurs. J'adore entendre un écrivain parler de création et écouter s'exprimer un auteur à propos de son monde et, plus généralement, du monde. C'est donc une certaine désolation que je ressens lorsque l'un d'entre-eux s'éteint, et ce malgré la relative ignorance dont je peux en avoir. Au-delà de tout il y a bien sûr l'aspect humain, mais ça ne me concerne pas directement.
RépondreSupprimerM'est d'avis que cette pluralité évoquée ci-haut est saine pour ce qu'on appelle vulgairement la culture. Tout ne se vaut pas, mais chaque idée a le droit d'être enfantée. Il y a toutefois une sélection qualitative suite à l'accouchement.
Les apôtres de l'unidimensionnalité, ceux-là mêmes qui font l'apologie de la production artistique usinière à la chaîne, sont des raclures de bidet! Tenter de réduire l'univers des possibles à une donnée unique tient de la folie! Et cette attitude mesquine sévit dans les sphères au-delà des arts; "Tout est sexuel!"; "Tout est Dieu!"; "Tout est scatologique!"; "Tout est politique!"; "Tout est hasard!"; "Tout est mathématique!" Faux! et encore faux! Tenter d'expliquer la complexité par l'absolu est odieux.
J'accorde tout de même le crédit aux prêtres de l'absolu de n'avoir aucune pudeur quant à leur manque de nuance gênant. Ils ont l'audace de pousser le ridicule vers des zones jusqu'alors inconnues, ce qui fait d'eux des explorateurs bornés du simplisme.
J'aimerais également revenir sur ce que tu dis par rapport au potentiel de lecture. Le seul acte de mettre au monde des écrits, de voir naître les mots, puis les phrases et les pages et les livres et qu'on en noircisse du papier! justifie à lui seul son existence. Le travail de création littéraire demande du maïeuticien des lettres une sensibilité particulière pour accepter l'unique existence de sont produit comme seule récompense en découlant, voire comme seul raison de sa motivation première. C'est ensuite que la question du lectorat arrive et avec elle, toujours à la traîne, la pompe à égo.
Cette pluralité, donc, est le moteur de la création. Je ne suis pas un être unitaire, ni même dualiste. Je suis une mine à exploiter. Je suis un univers de possibilités. Tu es l'infini des oeuvres qui restent à créer. Tu es un potentiel explosif. Il est beau dans sa complexité. Nous le sommes tous. Plus encore, au-delà de cet infini individuel, nous explorons les fonds d'âme des autres. Je m'inspire de l'Autre parce qu'il multiplie démusurément mes possibilités de création. En cela, le dernier des étrons peut s'avérer être un élément essentiel dans une équation possible; "Autrui, je t'aime et te déteste pour ce que tu es!"
Là où je suis en désaccord, c'est lorsque tu qualifies cette modeste participation à la culture d'héroïque. À mon sens, elle est tout ce qu'il y a de moins héroïque. Plutôt que de l'élever à un rang de presque intouchable, de la placer en position où son humanité laisse place à une surhumanité artificielle, nous devrions solidifier son statut d'authenticité la plus humaine qui soit. Tout d'abord parce qu'il est le fruit de vaines tentatives sans cesse répétées pour réconcilier les contraires, les paradoxes animant les esprits atteints de cette faiblesse propre à l'homme. Ensuite parce que l'objet littéraire, même s'il peut s'inspirer de tout sauf de l'humain, devrait demeurer le produit d'un être imparfait. Ce que tu appelles effort héroïque n'est en fait qu'un effort humain, et ceci étant, il est mille fois plus louable.
Wow! C'est bien dit en sale!!!
RépondreSupprimerJ'suis en admiration (profite s'en c'est rare)!
Hummm...
RépondreSupprimerJe dois avouer que je ne suis pas toujours les liens que tu publies vers ton blog, mais occasionnellement, au gré de ceci ou de cela.
Je ne suis pas un blogophile, pourtant amateur de belles lettres, mais je ne suis pas amateur de poésie non plus, c'est une question de genre.
Malogré tout, ton billet d'aujourd'hui me touche. Je viens de terminer la lecture de _L'Almanach des exils_, où un journal de l'amitié devient oeuvre à lire, me renvoyant sans cesse, comme ton billet le fait aussi, à la vacuité de mes entrées de journal, à la vélléité de mes projets inachevés, moi qui ai cessé de bloguer après trois ou quatre entrées, avant même de me développer un public.
Dans le fond, je suis d'accord avec toi, la pluralité des voix (des voies) est une richesse, mais cette richesse rend ma démarche comme inutile, moi qui alimentais le voeu que ma voix pouvait être originale...
Que vous avez raison, Bast: jamais il n'y aura trop d'écritures, trop d'oeuvres, jamais.
RépondreSupprimerL'art, l'expression, sont des sphères infinies. Elles semblent être délimitées par ceux qui ont parlé, écrit, filmé, dessiné, ou chanté avant, mais quand on regarde bien, il y a toujours des interstices à remplir.
a+
@ Angélus : Sphère. Oui : cette forme absolument pure, attique, est la forme même de la Littérature, qui est une sphère aux rayons infinis, et au centre nulle part.
RépondreSupprimer@ Simon : Ton commentaire me touche beaucoup, mon ami. J'ai souvenance de conversations avec toi sur des sujets similaires, où en filigrane se dessinaient tes ambitions, tes filiations sacrées, tes espoirs et nos amours. Doit-on de nos rêves de consécration individuelle (au sens fort) se débarrasser, à la fin? Doit-on valoriser la disparition du culte du moi, du culte de l'originalité personnelle, privée? Bien sûr que tu as quelque chose à dire, à créer, de typiquement tien, et que le monde ne saurait se priver. Ce que je crois, et c'est une croyance impure, c'est que les oeuvres ne s'analysent pas, ne se comparent pas, ne se justifient pas, ne se jaugent pas SEULEMENT à partir de leur auteur. Certains auteurs sont des oeuvres en soi, cf Wilde of course. Certaines oeuvres eussent mérité d'être anonyme, cf Finnegan's Wake. Certains chefs d'oeuvres sont aussi involontaires que parfaits, et les blogues en offrent des exemples probants. Ta démarche n'est inutile que si elle consiste en la destruction illusoire de toute autre oeuvre que la tienne. Le reste ne dépend pas de nous...
RépondreSupprimer@ Jane : je ne sais quoi dire... Merci. Je suis toujours sonné quand quelqu'un me dit des choses comme ça, je m'attends toujours plutôt à me faire rentrer dedans. Bises
RépondreSupprimer@ Bélître : Lorsque j'ai lu ton commentaire, je suis tombé en bas de mon lit, et j'ai été flabbergasté parce que je dois t'avouer que c'est en partie sous ton influence que j'ai écrit ce texte. Je prétends pas avoir raison, ni même d'avoir bien exprimé ce que je voulais dire. Et peut-être eussé-je dû écrire : épique, plutôt qu'héroïque. De toute façon, je vais revenir sur le sujet. Ça me démange encore. Merci!
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