5.9.09

Miscellaneous éperdu (AJOUTS)

Samedi matin, je me réveille avec du Mara Tremblay sur la peau. Plus exactement, Le Teint de Linda, la première chanson aux sonorités country qui, malgré ça, m'a fait tripper. Et très précisément, je la ressens passer comme un frisson de vulnérabilité sur ma nuque, sur mes bras, sur mon ventre, dans mes jambes, souffle glacial de malaise et de questionnements éperdus.




(Pour visionner le clip, il faut aller sur maratremblay.com ou cliquer sur l'imâââge ci-dessus.)





Pas envie de faire quoi que ce soit, je suis enfin en congé, et je me suis pris dix livres et un docu à la Grande Bibliothèque : je vais enfin lire De Amore de Marsile Ficin, tel que recommandé par Maphto, et des contes soufis de Al Rûmi (dont je vous avais parlé en février dernier), et deux grosses briques sur René Char (dont je vous parle tout le temps - voir le bastsujet), et plusieurs livres de Dumézil (dont je ne désespère pas encore de vous parler dans un avenir rapproché, malgré tout), et quelques autres bouquins fascinants.

Je me fais des bols de café au lait, je me fais toaster des muffins anglais, je me fais des reproches et je ne comprends pas tout à fait pourquoi. Je me sens fourbu, claqué, mentalement, et physiquement. Sur ma peau, je lis les vicissitudes de ma vie.





Je ne connais pas personnellement Guy Laliberté. L'eussé-je connu que ça aurait peut-être changé mon opinion sur le sujet, mais ce n'est pas le cas, alors je n'ai aucune sympathie pour son voyage dans l'espace. Je ne suis pas de la génération "Guerre froide", je n'ai aucune mythologie personnelle de cosmonaute, de Gagarine et de la chienne Laïka. Et pour moi, en tant que créateur, en tant qu'esthète, la poésie, dont se gargarise le gourou du Cirque du Soleil, se retrouve bien plutôt dans La face cachée de la Lune, de Robert Lepage, et aucunement dans ce non-événement signé "One drop".

La journaliste Rima Elkouri a signé un très bon papier sur le sujet, qui exprime le malaise de plusieurs, dont je suis, face à cette "mission poétique" de marde. Extrait de son papier intitulé "Mission poétique ou narcissique?" :

"Pendant une bonne heure, le fondateur du Cirque du Soleil, un logo de son entreprise bien en vue au-dessus de sa tête, a ainsi expliqué aux internautes en quoi consisterait son «odyssée» humanitaire à 35 millions. Si M. Laliberté veut aller dans l'espace, n'allez surtout pas croire, mesdames et messieurs, que c'est simplement pour son plaisir personnel ou pour se pavaner. Pas question pour lui de se contenter d'être un vulgaire touriste de l'espace. Non. De là-haut, durant cette expérience qui se veut avant tout «spirituelle», le grand prêtre du Cirque du Soleil a un rêve. Il veut sensibiliser la pauvre population terrestre aux enjeux de l'eau et à l'avenir de notre planète, avec un événement «mondial, international» et même «universel». [...] Durant la conférence de presse, les mots «poème», «poésie», «poétique» ont dû être prononcés plus d'une vingtaine de fois. Paradoxalement, plus on parlait de poésie, plus on avait l'impression de s'en éloigner. La poésie, la vraie, peut-elle vraiment survivre à toute cette enflure narcissique drapée de bons sentiments? N'est-elle pas justement aux antipodes de ce boursouflage mégalomane interplanétaire?"


Et sur le site de Christian Mistral, j'ai réagi à la nouvelle, plus précisément à propos de l'écrivain Claude Péloquin, qui était supposé écrire l'oeuvre que lirait Guy Laliberté dans l'espace. Je suis le 47e commentaire...





Pourquoi ai-je mal, pourquoi mon coeur se serre-t-il d'angoisse et de tristesse, ce matin? Pourquoi le sentiment d'être atrocement SEUL? -- J'essaie de garder mon calme, de prendre à bras le corps ce faisceau d'émotions, cette nébuleuse de sens insensée, flou, tout est flou à loisir, et je me dis, peut-être à tort, que de m'analyser, que de m'ouvrir le coeur et les pensées en public, devant l'écran de mon portable, sur mon blogue, va me faire du bien.






Hier soir la magie, hier soir la beauté, hier soir les amis -- ô glorieux, ô magnifiques, ô mes amis, et pourtant (pour-tant : à ce prix, à ce coût-là; expression analysable et compréhensible, qui introduit l'inanalysable, l'incompréhensible, un marché faustien, une affaire à jamais, toujours-déjà bouclée à mon désavantage, à perte, à perte d'âme), je suis reparti chez moi le coeur infecté d'une gangrène interrogative, et j'ai marché en fuyant les regards qui eussent pu se poser sur mon corps vulnérabilisé, écartelé, martyrisé d'autodénigrement et de fragilité spirituelle. -- Où se trouve donc le centre, l'origine de cette tristesse du corps, de cette fatigue des sens, de cette trahison de l'image mentale que je me fais de moi-même? Il y a une faille dans le cycle karmique de ma vie, et cette faille est ouverture vers la vérité voilée-dévoilée du coeur-corps, ce complexe arrangement moléculaire et spirituel qui me compose comme individu.





Hier les amis et surtout peut-être les représentations les plus émouvantes de tout ce que je chéris, de ce que j'affectionne et vénère : jeunesse pleine de géniale vanité, beauté des lieux, beauté des formes, délice de tous les sens, conversations d'équilibristes ou de librettistes du 18e (l'époque où, comme le dit Blanchot, tout le monde écrivait avec brio, tout le monde faisait profession d'intelligence vive dans les paroles, les oeuvres, les réparties caustiques), jeunesse pleine, grosse d'avenir, et beauté atrocement sexuée, affamée de sexe et de plaisir, affamée de vie et de plénitude de soi-même ; on n'est pas sérieux quand on a vingt-sept ans ; je lis sur les silhouettes -- poses, postures, cambrures, danses et langueurs ultra -- les origines magiques des idéogrammes, des hiéroglyphes, des abstractions signifiantes encore engoncées dans des formes mouvantes, terribles, de quotidienneté et d'immédiateté, de désir et d'étrangeté divine. Mes amis, mes amours : j'ai aimé ces corps, je les ai lus, je les désire encore, comme un fou, comme un flou tendre, comme un tendre fouillis. La dangerosité. La menace du vêtement. Les artifices de l'urbanité mises en abîme dans le contact sans contact, dans les caresses bloquées par le textile, et je me surprends à penser que la surface est d'autant plus vaste qu'elle est nue ; nus, nous serions infinis les uns avec les autres ; infinis, d'où : le secret du sexe, du corps, dévoilé, perdrait sa dangerosité de bête tapie dans le tissu foisonnant, luxurieux, et par là même, les inhibitions dont mon corps cache en son sein les poisons autodestructeurs, seraient neutralisés dans l'ex-hibition.





Avant-hier, c'était la continuation de la mise en place d'une relation amicale saine avec mon ex ; mon tit-ex comme dit l'Achigan, par opposition avec mon grand-ex, ce dernier ayant partagé un peu plus qu'une demi-douzaine d'années de ma vie, l'autre, le dernier en date, le tit-ex, que quelques mois intenses. Mais dans nos paroles vraies, vrillantes et déridantes de spontanéité et de candeur, une fissure, encore une faille, et violente : le non-désir qui fut jadis désir, désir du désir et puissance actualisée du désir, libido centrée sur son obscur objet de désir qu'est le sexe jumeau, miroir du désir du même (homoïoï, en grec), échec du désir et échec de la communication des corps, destruction nécessaire à la mise en place d'une relation amicale saine, et pourtant, pour-tant, ce pouvant signifier le mensonge du désir encore vivant qui doit se terrer encore plus profondément pour survivre, pour ne jamais mourir tout à fait, et pour peu je m'eusse bouché les oreilles pour ne plus entendre battre dans sa voix la libido étincelante de jeunesse déjà tournée vers tant d'autres corps que le mien ; faiblesse de celui qui naguère posséda, et qui doit accepter de n'avoir plus que les mains vides parce que le coeur, lui, l'est déjà. Écouter sans écouter les aventures post-rupture, lire sans lire les fantasmes qui m'éloignent de moi, de ce que je vois dans le miroir tous les criss de matin, sur ma peau, ma vie se lit...





Rencontres qui me désertifient, qui me dévastent : amis qui me veulent du bien, et pour-tant, qui me ramènent sans le vouloir, sans le prévoir, à la dévastation normale, aux sinistres et aux catastrophes réguliers de mon être-là (heideggerrien Dasein; à moins que ce ne soit mon être-au-monde, mon Inderweltsein?) -- besoin de fuir mes amis, besoin irrépressible de les trahir, de les tenir à distance pour préserver mon esprit des naufrages les pires, quand par exemple des amis font la noce ou se marient, s'expriment envers et contre mes préjugés érigés en valeurs, ou cherchent en moi une oreille attentive... qui se révèle sourde, assourdie, assourdissante du silence du "je t'aime, je te désire". Ambiguïté de l'amitié qui m'exalte et me tue, qui me dirige vers moi-même tout en m'éloignant indéfiniment du moi qui n'est pas "le même". Je les trahis d'autant plus facilement que je peux, sans peine de mentir, prétexter ma fatigue, ma vie pleine de travail éreintant, de faiblesse mentale ou physique (comme il est jouissif d'annuler un rendez-vous en prétextant la maladie quand elle n'est pas la cause! comme il est vrai que je souffre les affres des symptômes quand je n'en ai aucun! comme il est doux de mentir pour une aussi bonne cause que celle de ma ruine intérieure!)






Éperdu d'amour je suis et pourtant, c'est de peaux que j'ai le plus besoin. Mon sexe inemployé quelques temps, et c'est mon moral qui se raccornit. Les caresses intimes me manquent, me causent des manques de drogué. Et qu'est-ce que la parole cultivée, intellectuelle, qu'est la mienne, sinon une monnaie d'échange (devise comme une autre, peut-être moins valable ou plus rare ou plus glorieusement civilisée qu'une autre) contre la bestialité du sexe? un pour-tant, vraiment, un coût à l'échange, un prix à payer pour être désiré-désirant ; il y a cinq grands axes qui mènent à l'échange d'orgasmes à deux ou à plusieurs, dans l'ordre croissant de puissance érotisante : la gentillesse/humour (degré zéro de l'attirance), ensuite la parole intellectuellement puissante, ensuite l'argent et ses preuves matérielles, ensuite le Pouvoir, et finalement, plus haut échelon (qui souvent annule ou apporte les précédents à son possesseur), et paroxysme de l'arbitraire du désir : la perfection génétique du charisme sexuel. Graal du cul.





Je m'observe dans ma nudité et je me tâte, je me palpe, je me jauge et me juge. Ce que j'ai à offrir est pauvre trésor. Mes armes sont ébréchées, mais qu'y puis-je? Je dois d'abord panser mes failles, mes fissures, mes plaies symboliques -- les pires de toutes. Et ma frustration grandit comme un léviathan fou dans les abysses glaciales de mon coeur. Les souvenirs s'allient aux fantasmes pour composer les mirages, les spectres du désir, labourant mon corps de sillons stériles, de terre en jachère éternelle, mortelle.





J'ai mal au coeur et j'ai la nausée. Il faut que j'arrête d'écrire pour l'instant. Mais je n'ai pas exprimé le millième de ce que je désirais écrire (tout à fait comme je n'ai pas encore vécu le millième de ce que je désire baiser, aimer, expérimenter sexuellement, sensuellement, affectivement).

Grand bien me fasse.





Ça fait cinquante ans aujourd'hui que Duplessis est mort.

Grand bien nous fasse.

7 commentaires:

  1. Vous savez Bast, j'ai toujours aimé vos miscellaneous, ces longs textes au divers horizons; ils sont cuisant et plaisant. Toutefois, j'ai de la difficulté à concevoir un commentaire de quelques lignes engloblant tout les sujets abordés.

    Moi, Mara Tremblay, ishhh, serait-ce possible de faire en sorte qu'elle cesse d'ouvrir automatique la bouche à la simple ouverture de votre blogue?

    Guy Laliberté, libéré dans l'espace, j'avoue trouver tout se tralala insignifiant... poésie? Non, milliardaire qui rêve des grandeurs. "Heille as-tu vu? Guy Laliberté dans l'espace, il faut faire attention à notre consommation de l'eau et à notre planète" bouhouuu (comme si cela avait un lien quelqu'onque). La seul poésie qu'il fait, c'est une metaphore, il faut lire entre les lignes et on comprends: "J'veux que l'on parle de moi". mais quelle poète se Guy!

    J'aime comparer l'amoureux à l'héroinomane. Non dans un sens péjoratif, mais plutot à cause de la dépendance involontaire (ou volontaire), que l'amour apporte. Il est vrai qu'une rupture impose un changement dans le mode de vie, une réadaption, un jeûne.

    Je vous embrasse fort, aimable Bast. Et puisse la poésie de Marsile Ficin et René Char, ou les livres de Al Rûmi et Dumézil vous apportez réconfort.

    Papine.

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  2. Merci pour ce beau commentaire. J'apprécie vraiment.

    Pour ce qui est de la toune de Mara, j'ai exaucé tous vos désirs en la retirant, ou plutôt en la remplaçant par une image qui mène au clip par hyperlien, grande est la technologie et je suis son prophète...

    Bastabises

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  3. Moi, j'ai quand même trouvé ça drôle d'avoir ta copinette dans la tête une bonne partie de l'après-midi... Ça a mis un sourire dans ma vie ;p

    Pour le reste, je me suis exprimée d'une autre façon dans une autre dimension...

    La version avec image vaut tout de même un, deux ou trente détours... Ils n'ont pas de kilt, mais ça fait quand même du bien à mon oeil de vieille pomme qui commençait à se frigidifier... Parlant de pomme, est-ce qu'on peut leur croquer une fesse à tes amis???

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  4. Non mais qu'est-ce que je donnerais pour croquer dans une fesse d'homme, une belle «mordé», juste assez dérangeante pour être plaisante...

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  5. Comme vous êtes agité, vous étiez bien calme la veille.

    J'aime que réflexions sur ton corps soient appuyées d'images divines, de ces hommes dévastateurs.

    J'espère vous revoir dans la maison du poisson.

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  6. @ POMME : Croque, ma jolie, croque! Et ceux en kilt, je me les réserve pour avant mon endormissement... ;) Moi aussi je vous écris dans une autre dimension. :)

    @ Brume : Mon agitation intérieure est infinie, et pourtant, je reste, avec civilité, votre dévoué. À la joyeuse revoyure, donc!

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  7. Tu sais quoi Bast ?
    Tu es un Pessoa sexué...

    Je comprends tout.

    Je saisis tout. Que tu nous trahisses alors, s'il le faut. Je comprends tout.
    Je n'en ai pas ton expérience,
    mais j'en ai l'imagination.

    T'es immense Bast.
    T'es un Titan.

    Et je tremble quand tu dis...

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Faites comme chez Bast