27.9.09

Cent une fois sur le métier

Je suis un indécrottable foucaldien, vous le savez, et vous en êtes parfois impressionnés, parfois dégoûtés.

Michel Foucault : philosophe, historien, herméneuticien du sujet... tous titres qui ne veulent pas dire grand'chose, et qui rebutent. On le porte aux nues ou on l'utilise pour ridiculiser les intellos qui se croient très chics de le citer dans des apéros dinatoires mondains. Mais si on connaît les engagements intellectuels, politiques (souvent identifiés à gauche, parfois à tort) de Foucault, on connaît moins son formidable travail sur les archives, qui le rapproche d'un autre grand penseur souvent cité et très connu, Noam Chomsky. Comme Chomsky, Foucault était un immense chercheur. Un rat de bibliothèque. Le genre à passer à travers toutes les archives d'Europe sur un sujet. Archéologue des idées.






Ce que cette pratique implique, avec sa mise en avant des textes les plus obscurs, des rapports de police et de lettres de cachet, des prescriptions et des notices discrètes, c'est de ne pas se soucier de l'Auteur. On fouille, on fouille, on met en relation et on analyse des textes qui sont le résultat de siècles de gribouillage anonyme. Bien sûr, après, il y a des individus derrière ces amas de mots, alors on en parle, on contextualise. Renaît, phénix, l'auteur de ses cendres...


Ainsi, cette pratique aura plusieurs conséquences étonnantes, dont Foucault fut le père, l'initiateur, le grand découvreur pour nous :

- Dépasser la tradition en allant au-delà des "grands" auteurs, des "bons" auteurs, des génies. Ces derniers sont souvent considérés tels par une structure épistémique en lien étroit avec un pouvoir qui tente de justifier des pratiques sociales (enfermement, théories monétaires, etc.) en fonction d'un ordre de la vérité donné.

- Donner la parole à ceux qui ne l'eurent jamais ; les prisonniers, les fous...

- Dévaloriser le titre d'auteur.

- Juger autrement les oeuvres que sur la seule perfection classique de la forme, de l'orthographe, des préjugés : oui, la beauté et la perfection existe, et il y a des gens plus talentueux que d'autres, il y a des Mallarmé et des Rimbaud ; mais, comme dirait Paul Veyne, est-ce là ce qui est le plus intéressant? Tout dépend de ce que l'on cherche, de ce que l'on étudie. Ce qui est intéressant peut être très mal écrit, très faible, très naïf et très médiocre. Ça dépend...



Si j'applique, selon mes propres observations, ces quelques idées à mon précédent billet, je pense que la blogosphère et le Web 2.0 (que Foucault, malheureusement, n'a pas connu parce qu'il est mort trop jeune) est une nouvelle manière d'accumuler, indéfiniment et de manière presque exponentielle, du texte, du discours. Est-ce que tout ce que le web renferme est intéressant? Bien sûr que non. Mais encore là, tout dépend de ce que l'on cherche.

Si l'on cherche à y lire seulement ce que les Académiciens considèrent comme des parangons de littérature française, ou comme des classiques absolus, ou comme des témoignages forts de la Culture avec un grand Q, alors on risque d'être dégoûté. Souventes fois mon cher Alex m'a reproché de lire de mauvais blogues, des trucs mal écrits et subjectifs et déprimants, le genre de blogues que ridiculise Hispong avec son cher humour grinçant, dérangeant. Irrévérencieux. Dernièrement, Papine, nouveau venu sur la blogo, a fait une sortie contre les blogues qui n'ont comme prétexte que d'exposer le quotidien plate de leurs auteurs. Dernièrement aussi, Simon les Nuages s'est fait rentrer dedans par un lecteur qui lui reprochait de raconter sa vie en la considérant comme intéressante à lire... Et souvent, la blogosphère est secouée par des crises d'identité profondes, causées par une supposée "uniformisation", une "médiocrité", que sais-je encore.

Pourtant, c'est dans la diversité de l'offre que se trouve la clef du web, sa liberté fondamentale, et son mode de fonctionnement. Le lectorat y est limité, peu expressif, souvent de piètre qualité, et consiste en général en blogueurs qui se lisent et se ploguent entre eux (ce que Le Détesteur déteste). C'est étrange comme on a une vision paradoxale du lectorat : il devrait être innombrable mais de qualité; il devrait être capable de reconnaître ce qui est un bon blogue, mais sans créer d'effets de mode, d'effets de popularité soudaine qui discréditent un blogue; il devrait être actif dans les commentaires, mais pas trop; il devrait être, logiquement, représentatif de la société, mais entre les trolls et les partisans de la théorie du complot, on ne sait plus trop si la réalité recouvre beaucoup (plus) de marde (qu'on pense) ou si la marde a tendance à s'exprimer davantage...



Foucault était comme tous les êtres d'exception, comme tous les intellectuels raffinés de son temps : il préférait la musique classique ou contemporaine à la musique populaire, et la grande littérature aux romans de gare. C'était un homme qui semblait très révolutionnaire en allant manifester devant les prisons françaises, ou quand Blanchot l'a croisé à la Sorbonne durant Mai 68 (ce que Foucault a toujours nié, prétextant qu'il était en Tunisie durant les révoltes étudiantes), mais qui était ami, dans sa vie privée, avec des hommes de droite comme Georges Dumézil, et qui conduisait une jaguar... Foucault, l'homme qui donnait la parole aux prisonniers et aux fous, disait à son ami Paul Veyne que les fous étaient fort ennuyants...

Moi aussi je suis dans une certaine mesure un homme du passé, un aristocrate de la pensée et de l'écriture : mon français est classique, mes lectures sont classiques, mes goûts (desquels on ne discute pas...) sont plutôt exigeants. Et pourtant...

J'apprécie ce qui est différent de moi, et je sais ce que je cherche. Je sais apprécier des textes (parce que c'est de cela qu'il est question) autrement que pour leurs qualités littéraires (ou leur absence de).


Je crains davantage les partisans des autodafés que les scribouilleurs du dimanche. Je crains davantage les "grands inquisiteurs" qui censurent à tour de bras, crachant des anathèmes et des fatwas sur ce qui leur déplaît, que la multiplication des écrivains soporifiques, des poètes torturés et des chanteuses star-académiciennces. Je crains l'amertume et l'intolérance bien davantage que le kitsch, les mièvreries et les fautes d'orthographe.


Moi aussi, j'ai envie d'écrire. Je le fais. Je ne demande la permission à personne.


Est-ce cliché que d'être un jeune poète homosexuel du Plateau qui lit Foucault? Oui. Totalement. Je n'ai pas peur des clichés. J'ai peur de l'autocensure qu'engendrent toujours la censure, la violence et la dictature, surtout la plus sournoise de toute, la dictature des faux-cul et des bénis-oui-oui, des lèche-bottes et des bien-pensants.


Écrivez. De toute façon, vous ne plairez jamais à tout le monde, et vous ne pouvez vous fier ni à la postérité, ni aux reconnaissances (prix littéraires, statues, etc.) pour que votre oeuvre soit lue, reconnue. Évidemment, ça va vous apporter des déceptions. Même si vous n'espérez pas aller un jour gagner la médaille d'or aux Olympiques, vous avez le droit de courir, non? Je vais quand même vous y encourager, basta!


Il faut écrire. Point.

2 commentaires:

  1. J'avais fait un petit texte sur la blogosphère, mais je m'étais gardé de ne pas aborder le contenu des blogs pour m'en tenir uniquement au phénomène qui les englobe tous. J'ignore ce que je cherchais à faire en l'écrivant puisque ce n'est pas le genre de choses où je peux avoir une certaine satisfaction juste en le rédigeant, ce n'est pas ma voix habituelle. Paradoxalement, je crois que je voulais expérimenter le phénomène blogosphérique à petite échelle, soit 1) écrire avec l'intention d'avoir des commentaires; 2) jouer la carte du blogueur qui blogue à propos des blogs. Ce qui n'a évidemment pas fonctionné. En plus, j'ai l'impression de jouer le publiciste en écrivant tout ça ici. Je pense que ça peut devenir malsain de revenir sans cesse à ce qu'on fait "réellement", c'est-à-dire au fait qu'on écrive sur des pages web et qu'on est tous plus ou moins conscients que la seule manière d'être lu demeure celle d'aller pisser sur quelques blogs en espérant qu'un ou deux quidams remontent jusqu'à chez nous en suivant l'odeur.

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  2. D'où nous vient notre snobisme artistique et plus spécifiquement littéraire? Pourquoi est-il encore enseigné et continue-t-il à faire des émules? Pourquoi n'en est-il pas ainsi dans d'autres cultures? Est-ce la faute à l'Académie?

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