16.4.09

( )

Devant toute grande oeuvre d'art plastique, l'évidence d'un silence particulier nous atteint comme une surprise qui n'est pas toujours un repos : un silence sensible, parfois autoritaire, parfois souverainement indifférent, parfois agité, animé et joyeux. Et le livre véritable est toujours un peu statue. Il s'élève et s'organise comme une puissance silencieuse qui donne forme et fermeté au silence et par le silence.
- Maurice Blanchot (Le livre à venir)



Füssli - Silence



Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen. (Sur ce dont on ne peut rien dire, il faut garder le silence)
- Wittgenstein (Tractatus Logico-Philosophicus)




Dührer, Melencholia


Ah! César avait raison, quel sens avait tout cela? En quoi cela regardait-il César? L'explication était pénible, et pourtant il semblait qu'elle lui fût imposée, comme si elle devait décider du sort de L'Énéide.
"La philosophie est une science, est une vérité de l'entendement, il faut qu'elle puisse prouver, elle a besoin d'une base de la connaissance et la base de la connais..." Quelque part, il y eut un rire, muet et supérieur.
Était-ce l'esclave? Ou les démons annonçaient-ils leur retour par ce rire?
"Pourquoi t'arrêtes-tu de parler, Virgile?"
De nouveau, Athènes se montra; de nouveau, l'étrange désillusion qu'avait été Athènes. Où riait-on? Était-ce à Athènes?
"La base de la connaissance précède tout entendement, précède toute philosophie... c'est l'hypothèse première et elle régit à la fois l'intérieur et l'extérieur de nous-mêmes... tu m'as bien ramené d'Athènes, Octave? n'est-ce pas?"
La conque nacrée du ciel s'ouvrait au-dessus de l'Adriatique, le navire se balançait, les chevaux blancs de Poséidon montraient leur tête; dans le salon il y avait du rire et du bruit; à la poupe, dans la lumière blêmissante, un esclave-musicien commençait à chanter, solitaire; c'était une voix d'enfant.
"Il était salutaire et utile de te ramener d'Athènes, mon Virgile... ou voulais-tu dire que maintenant la philosophie est affranchie de ses devoirs, puisqu'on ne t'a pas laissé, misérablement soigné, dans la ville des philosophes?"
César devrait légitimement se trouver sur l'autre navire, et non ici.
"La philosophie a perdu le fondement de sa connaissance, sa base est enfoncée très loin au-dessous d'elle, très profondément dans la mer... et lorsqu'il lui faut se développer en hauteur, grandissant pour toucher l'infini, ses racines ne descendent pas assez bas, même si elles aussi grandissaient à l'infini... autrement, je ne serais pas rentré avec toi, Octave... Lorsque les racines ne touchent plus rien, il n'y a que du vide sans ombre... le fondement de la connaissance s'est perdu, il y a beaucoup de vains bavardages sur le navire; tu ne le remarques peut-être pas aussi précisément que moi, parce que le mal de mer ne t'a pas rendu lucide... Autrefois, la philosophie possédait encore le fondement de sa connaissance, sur lequel elle pouvait s'édifier... Comme toi, je ne voulais pas voir qu'elle l'avait perdue... j'ai fait le voyage à Athènes, j'ai fait le voyage... mais aujourd'hui le terrain de procréation féconde, dans lequel elle était enracinée, elle l'a définitivement perdu... la pensée est devenue impuissante."
Oui, c'était bien cela, et il n'y en avait pas lieu d'en rire. Même le Dieu qui possède la connaissance du néant, et qui veut le néant n'avait pas le droit d'en rire. Et effectivement, le rire s'éteignit. La voix de Plotia lui succéda, disant: "Silencieuse est l'entente, elle n'a besoin d'aucune preuve. Retourne dans la conque ouverte du silence."
- Hermann Broch (La Mort de Virgile)



Hermann Broch




Nous n'appartenons à personne sinon au point d'or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence.
- René Char (Feuillets d'Hypnos)

10 commentaires:

  1. Tu dois être un littéraire toi. Tu as la manie de citer tout plein d'auteurs différents. :)

    RépondreSupprimer
  2. Même pas... Études en histoire, en sciences religieuses et en philosophie.

    Mais il m'est arrivé de lire deux ou trois romans... ;)

    J'avais envie d'écrire sur le silence, mais c'était plus conséquent de me taire, alors j'ai fait parler ceux-là à ma place... Mon blogue, anyway, est un écrin. Un peu comme celui de Mme Blue. À la base, je n'étais pas supposé parler de moi autant.

    RépondreSupprimer
  3. Ahhh, j'en apprends un peu plus sur ce mystérieux Bast. :)

    RépondreSupprimer
  4. J'aurais tout plein de questions à poser au mystérieux Bast... :)

    RépondreSupprimer
  5. "(Sur ce dont on ne peut rien dire, il faut garder le silence)"

    C'est tellement la version allemande de "Ouan... c'est ça qui est ça".

    RépondreSupprimer
  6. Cher Bast, vous avez-vu le film de Derek Jarman sur ce philosophe. Vous venez de me remémorer que je dois le voir.

    RépondreSupprimer
  7. Bast: Mais, mais, voyeurs que nous sommes, tu es notre sujet préféré!

    Pierre-Luc: Haha! La belle voie! Faire des matchs entre les lieux communs d'ici et les citations des grands! Bast? Mission?

    RépondreSupprimer
  8. Ouin. T'as une mission Bast!

    Il faut que tu prennes des expressions BS et que tu les transformes poétiquement!

    RépondreSupprimer
  9. Cette note sue le silence est superbe Mr Bast, j'aime particuliérementla pensée de René Char.

    Oui, c'est vrai, le rapprochemment est juste, je vis votre blog aussi comme un écrin , dans lequel on range des choses qui nous sont chères, une manière détournée de parler de soi au fond.

    j'aime beaucoup votre espace, la température et le parfum, tout en finesse et raffinement.

    Chutt...

    Blue

    RépondreSupprimer
  10. @ Maphto : Posez-moi toutes les questions que vous voulez, my young padawan, je vais tenter d'y répondre! :)

    @ Pierre-Luc et Èvre : Ahahahahahaha!!!! J'aime l'idée, mais je crois que je vais vous laisser traduire en "québécois commun" les citations célèbres que je saupoudre sur mon blog... :)

    @ enamoration : Non, malheureusement, je n'ai pas vu ce film. À propos de Wittgenstein? Je ne savais même pas qu'un tel film existât! Donnez-m'en des nouvelles! Ou invitez-moi à le visionner en votre compagnie!

    @ Mme Blue : Vous êtes un modèle, pour moi. Je suis votre admirateur avoué, et je suis touché que mon blogue vous plaise! Merci, merci, merci!

    RépondreSupprimer

Faites comme chez Bast