12.4.09

Dr Bast répond à vos questions

Docteur Bast est là pour toi!

Suite à mon dernier billet, Maphto m'a par trois fois questionné sur l'amour:

- Ça existe l'amour gai ?

- Ça existe l'amour fou, aveugle et océanique ?

- Au fait, Bast, qu'est-ce qui te plaît chez ce gars ? Et, peut-être la question la plus importante, qu'est-ce que tu penses qui lui plaît chez toi ?

À la troisième question, Maphto, je réponds comme Montaigne lorsqu'il s'interrogea sur son amour pour Étienne de La Boétie : "Parce que c'estoit luy, parce que c'estoit moy." Il semblerait qu'il n'y ait rien d'autre à dire. Ça ne s'explique pas. - J'aime les défauts de l'autre, j'aime sa voix, j'aime nos échanges, j'aime sa présence, j'aime sentir que nous sommes faits l'un pour l'autre : et pourtant, l'amour excède l'énumération de ces quelques éléments. L'amour est méréologiquement fou : les parties et le tout ne coïcindent jamais totalement. L'amour est niais. L'amour nait d'une métaphore (cf. Kundera). L'amour est un changement qualitatif dans la structure moléculaire de l'Univers. Des forces sont en jeu que les instruments les plus précis ne peuvent étudier. Ça t'envahit comme une marée qui monte inéluctablement.

Qu'est-ce qui me plaît chez lui? Qu'est-ce qui lui plaît chez moi? Tout, ou seulement un éclat dans l'iris, une posture du corps, une parole qui nous hante, une vision de l'autre dans vingt ans, un certain râle lors du coït. Je ne sais pas. Pourquoi lui? Pourquoi moi? Pourquoi l'amour et pas seulement l'amitié ou les corps qui exultent? C'est un sentiment qui rend complètement ahuri et qui ne se décrit que comme le Temps (citation de saint Augustin) : "Si personne ne me pose la question, je le sais ; si quelqu'un pose la question et que je veuille expliquer, je ne sais plus."

On peut vivre sans jamais rencontrer l'amour. On peut vivre en amoureux perpétuel. À chaque torchon, sa guenille (sagesse populaire). On peut tenter de vivre son amour selon l'idéal grec (échelle de l'amour du Banquet de Platon), selon l'idéal chrétien - i.e. en toute chasteté (Jacques Maritain et sa femme Raïssa) , selon l'idéal existentialiste (Sartre et Beauvoir), selon l'idéal désacralisé et pervers du Nouveau Roman (Alain Robbe-Grillet et sa femme Catherine - dont le nom de plume est Jeanne de Berg), selon l'idéal patriarcal (un mâle dominant, un mâle ou une femelle dominé(e), qui reste à la maison et qui vit aux crochets du mâle dominant), selon l'idéal communiste (Laura Marx, la fille de Karl, et son mari Paul Lafargue), ou encore selon sa propre et courageuse inventivité éthique.

L'échelle de l'amour : à l'amour des corps succède l'amour d'un seul corps. C'est déjà mieux, c'est déjà l'amour d'une Forme, d'une Idée. Les préjugés grecs anciens en faisaient la conditio sine qua non de l'amour du Souverain Bien. Une éthique de l'amour grec : j'aime Socrate parce que son âme immortelle me donne accès au monde des Idées, mais Socrate n'aimera pas Alcibiade pour son corps parfait, mais seulement si Alcibiade désire la sagesse (philo-sophia : l'amour de la sagesse, ou plus précisément : tendre vers l'idéal du sage).

L'amour chrétien : le philosophe Jacques Maritain et sa femme tentèrent d'appliquer le message de Jésus dans leur existence, en étant fidèles et chastes... Il va sans dire que je préfère la folie amoureuse médiévale de Pierre Abélard et d'Héloïse! Dussé-je me faire châtrer et puis moine, je t'aime malgré les institutions humaines, trop humaines.

L'amour existentialiste : Beauvoir fut peut-être la première à souffrir de cet idéal, mais leur amour devint un modèle de liberté et d'engagement. Sartre et elle firent jaser, firent scandale, firent des folies, et se firent mal. Pourtant, leurs incartades, leurs hésitations, leurs infidélités et leurs déviances favorisa l'émergence d'un discours contestataire sur le système patriarcal : féminisme de l'une, défense du droit des homosexuels de l'autre, et communisme des deux...

L'amour Nouveau Roman : de Robbe-Grillet, le vieux satyre mort l'an passé, et de sa femme maîtresse sado-maso, ils en parlent mieux là : http://www.france-mail-forum.de/fmf27/lit/27perrig.htm

L'amour au temps du patriarcat : je préfère le choléra.

L'amour communiste : quand le jeune socialiste français Paul Lafargue (auteur du Droit à la paresse) rencontre la seconde fille de Karl Marx, Laura, lors de la 1ère Internationale, c'est le coup de foudre réciproque. Toute une vie de militantisme, de séjours en prison, de lutte pour le Grand Soir, et de traduction des écrits de papa Marx. Ils se suicidèrent ensemble en 1911, à un âge avancé.

L'amour selon Maphto : il te faudra bien du talent, du courage et de la folie pour inventer ton propre discours amoureux. Il te faudra te planter souvent. Il te faudra aussi oublier ce que tu sais, renier ce que tu es, bafouer tes convictions, trahir tes amis et perdre souvent le sens de l'orientation. Tu seras déçu, tu seras trompé, tu te mentiras à toi-même, tu croiras de bonne grâce aux mensonges de l'être aimé, tu seras parfois amer, et quelques fois cynique, mais toujours tu oseras espérer. C'est comme ça. C'est malheureusement une condition métaphysique, théo-onto-logique, de l'Homo sapiens.

Tâche surtout de ne jamais écouter les cons qui comme moi te font la leçon.

Maphto, Dr Bast te prescrit les lectures suivantes comme introduction à l'amour. Je te souhaite d'être amoureux. Non seulement c'est extraordinairement bon, mais en plus ça peut être anthropologiquement passionnant à étudier.

- Les Souffrances du jeune Werther, de Goethe. Ce livre a inauguré la mode romantique en Europe, et a eu un impact extraordinaire sur notre civilisation. A fait dramatiquement grimpé les statistiques du suicide au tournant du 19e.

- Les Feluettes, de Michel Marc Bouchard. Pièce de théâtre québécoise qui me hante depuis mes quatorze ans, et qui met en scène une vengeance amoureuse implacable.

- Fragments d'un discours amoureux, de Roland Barthes. Du grand Barthes.

- Tout Yourcenar (pour ses personnages qui aiment par-delà les conventions et les époques, et pour elle, surtout, cette grande dame qui vécut toute sa vie avec sa compagne Grace).

- Tout Michel Foucault (parce qu'il fallait bien que je le plogue quelque part...).

- La biographie de Foucault écrite par le père des Gay studies français, Didier Éribon. Passionnant.

- La Marche à l'amour, de Gaston Miron.


Des suggestions de lecture? Quels sont vos propres modèles amoureux? Y croyez-vous encore?

8 commentaires:

  1. Se planter souvent, croire aux mensonges de l'être aimé mais toujours oser espérer! Il y a quelque chose de là de romantique et de réel! Puisque que comme vous dites Dr Bast, c'est extraordinairement bon :)

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  3. Merci de m'écrire un texte comme celui-ci Bast. Je n'en demandais pas tant. Néanmoins, je puis t'assurer que je n'ai aucunement l'intention de devenir amoureux de qui que ce soit dans un proche avenir.

    Merci de me rappeler que je dois lire Yourcenar. :)

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  4. l'érudition, la culture, la beauté. Merci de partager, la finesse passe toujours par la connaissance. Salutations,

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  5. Je ne les ai pas encore terminé, mais je suggère les Cahiers de Jeunesse de Simone de Beauvoir (1926-1930)...

    "C'est si lâche de se retenir sans cesse par crainte de souffrir si l'on s'avance trop; je souffrirai, voilà tout, je serai bien de force."

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  6. @ Ratz : N'est-ce pas? :)

    @ Maphto : La réponse que je t'avais écrite pour le précédent billet était démesurément long, alors j'ai décidé d'en faire un billet. Je suis content que tu ne me lances pas des roches... et que tu aies l'intention de lire Yourcenar! L'amour va te tomber dessus avant que tu ne t'en rendes compte... :)

    @ Motdotcom : Merci! Salutations distinguées!

    @ enamoration : C'est ce qui me plait tellement chez le Castor : son courage, sa force, son jusqu'au-boutisme... Elle n'a pas bradé son destin exceptionnel contre la facilité. Je n'ai malheureusement pas lu ses Cahiers de Jeunesse... Avez-vous lu La Cérémonie des Adieux? À l'autre bout de sa vie, elle raconte les dernières années de Sartre, leur vieillesse intranquille, et c'est magiquement beau...

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  7. Pour aimer quelqu'un il faut d'abord s'aimer sois-même.

    J'ai toujours l'impression que mes relations sont à sens unique.

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  8. Bien vu , l'amour nous tombe toujours dessus sans prévenir ...
    Yourcenar , évidemment , Barthes oui, j'ai envie d'ajouter Flaubert ...
    Et puis tant d'autres ...

    Est ce que vous croyez encore à l'amour ?
    OUI
    j'y plus que crois, c'est mon carburant, ma vie ...
    Pas de modèles en revanche, une créativité à toute épreuve, l'amour est une découverte de chaque instant, du moins est-ce ainsi que je le vis , une dynamique, un fluide, une énergie ...
    C'est un grand bonheur que de vous lire.
    Amitié.
    Hélèna

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